L'enveloppe est orange. Impossible de la manquer quand elle atterrit dans la boîte aux lettres des Suédois chaque année. Orange, comme un signal d'alerte, comme un rappel qu'il faut se mettre le nez dans ses épargnes retraite.

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Depuis 2000, les travailleurs suédois ont tous un compte d'épargne retraite individuel dans lequel ils accumulent 2,5% de leur salaire chaque année. La contribution obligatoire est partagée entre l'employeur et l'employé.

À certains égards, ces comptes Premium ressemblent à un REER obligatoire, une idée mise de l'avant au Québec en janvier... mais rejetée en bloc par tous les partis politiques.

En Suède, chaque individu doit se constituer un portefeuille en sélectionnant un maximum de cinq fonds communs, à l'intérieur d'un éventail de 777 fonds offerts par 88 sociétés. Pour les travailleurs qui ne veulent pas faire de choix de placement, les contributions sont acheminées vers le fonds Safa, l'option par défaut gérée par la société d'État AP7.

Au moment de la retraite, les travailleurs utilisent l'argent accumulé dans leur compte Premium pour se procurer une rente. Impossible de vider le compte d'un coup sec, contrairement au REER qui est souvent grugé avant la retraite.

Frais modiques

Avec les comptes Premium, la Suède voulait encourager les gens à se familiariser avec les marchés financiers. Mais 10 ans plus tard, peu d'épargnants s'impliquent réellement dans leurs placements. Et l'option par défaut remporte plus de succès que prévu.

AP7 gère le quart des actifs des comptes Premium, soit 17 milliards sur 67 milliards. «Mais 42% des individus sont avec AP7, car la plupart des jeunes qui ont moins de capital ne font pas de choix actifs», constate Richard Gröttheim, chef des opérations de AP7.

Depuis 2000, l'option par défaut a livré 7% de plus que la moyenne des fonds communs, se félicite le patron d'AP7. Les investisseurs ont eu un rendement de 4,2% par année en moyenne, en tenant compte des contributions. «Il faut réaliser que durant cette période, nous avons eu deux sévères crises boursières, en 2000 puis en 2008», souligne Richard Gröttheim.

Le secret de cette performance? Des frais de gestion très faibles, grâce à une gestion indicielle: AP7 achète des indices boursiers, plutôt que d'essayer de battre la Bourse. «Nous ne croyons pas à la gestion active sur tous les marchés. Par exemple, nous croyons que les actions de grandes entreprises américaines sont un marché très efficient où il est très difficile d'obtenir des performances actives», dit M. Gröttheim. Par contre, AP7 fait appel à des gestionnaires actifs pour l'Asie-Pacifique, le Japon et certaines régions européennes, comme la Suède.

Avec la gestion indicielle, les frais de gestion sont de seulement 0,12% par année, par rapport à environ 0,5% pour la moyenne des fonds offerts dans les comptes Premium. Des poussières par rapport au Canada! Chez nous, certains fonds communs prélèvent plus 3%.

Mais il est intéressant de souligner que la Suède a forcé les sociétés financières à consentir des rabais considérables pour les fonds achetés à l'intérieur des comptes Premium. «On offrait aux institutions financières un terrain de jeu complètement neuf!» lance le journaliste Mikael Nyman. C'est lui qui a eu l'idée d'exiger des ristournes. Grâce à son initiative, les institutions financières remettent aux Suédois environ les deux tiers des frais de gestion, directement dans leurs comptes Premium. Une affaire de 150 millions de dollars par an!

Un trop grand choix?

Mais les Suédois ont du mal à s'y retrouver. «Nous sommes supposés choisir parmi plus de 700 fonds, c'est complètement fou! Il n'y a aucun moyen de dire si un investissement est meilleur que l'autre», estime M. Nyman.

Notez que l'éventail est encore plus vaste au Canada. Pour leur REER, les épargnants ont le choix entre 5000 fonds communs, des actions, des obligations, des produits structurés...

La surabondance de produits financiers déstabilise les investisseurs, constate Joakim Palme, directeur de l'Institute for Futures Studies. «Des centaines de milliers de Suédois paient pour avoir des conseils financiers, ce qui est inutile à mon sens. Comme les montants sont assez faibles, pour l'instant, il faudrait des rendements très élevés pour rentabiliser leurs conseils», dit-il.

Mais dans 40 ans, les choix de placement auront un impact majeur sur les retraités. Des jumeaux qui ont travaillé toute leur vie, au même salaire, pourraient obtenir une rente complètement différente en fonction de leur succès financier... ou de leur chance.

Faudrait-il éliminer les choix de placement ou réduire de nombre de fonds?

Les partisans du libre-choix sont convaincus que le privé à sa place dans les comptes Premium. «La concurrence permet d'encourager l'innovation et d'amener de meilleures solutions», dit Jens Magnusson, directeur des recherches stratégiques chez SEB, l'une des quatre grandes banques suédoises.

«Je n'ai rien contre AP7, mais vous ne devriez pas avoir tout votre argent dans un seul et même fonds, dit-il. Il y a un risque de gestionnaire qu'il vaut mieux diversifier.»

Plutôt que de réduire l'offre de fonds, il faudrait faciliter les choix pour les investisseurs, estime Bo Könberg, président du conseil de l'Office des retraites de la Suède. «Quand les gens vont en vacances l'été, ils doivent choisir parmi 10 000hôtels et 10 000 restaurants, compare-t-il. Mais ils ne sont pas obligés de les analyser du premier jusqu'au dernier.»

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LA RETRAITE EN SUÈDE

Population: 9,1 millions d'habitants

PIB par personne: 36 790$US

Revenus moyens d'un travailleur: 44 000$US

Espérance de vie à la naissance: 80,8 ans

Coût des régimes de retraite publics: 7,7% du PIB

Contribution au régime de retraite public: 18,5% du salaire (dont 2,5% dans les comptes Premium) partagé entre l'employeur et l'employé

Source: OCDE et La Presse