Encore impensable pour beaucoup, l'idée fait quand même son chemin: le yuan remplacera un jour le dollar américain comme monnaie de réserve de l'économie mondiale.

Ce serait, après tout, dans l'ordre des choses. Les empires économiques imposent leur monnaie au reste du monde, comme l'ont fait les Grecs et les Romains et, plus récemment, les Britanniques avec la livre sterling.

L'économie américaine a surpassé celle de la Grande-Bretagne en 1872 et la devise des États-Unis s'est par la suite imposée comme monnaie de référence dans le monde entier.

Mais le règne incontesté du billet vert depuis 1945 a pris fin avec l'apparition de concurrents potentiels: l'euro, monnaie commune d'un marché de 500 millions d'habitants et le yuan, poussé par le potentiel économique de la Chine.

Dans quelques années à peine, la Chine surpassera les États-Unis et sera la plus importante économie mondiale. Si l'histoire se répète, le yuan pourrait remplacer le dollar américain comme monnaie de référence en 2050, soit dans moins de 40 ans.

Même ceux qui refusent d'envisager ce scénario ne peuvent faire autrement que de constater le déclin de l'empire américain . La crise financière de 2008 et la dépréciation du dollar qui a suivi risque d'accélérer ce déclin.

Les marchés des capitaux changent. La Chine et le Brésil, par exemple, ont commencé à utiliser leurs monnaies plutôt que le dollar américain dans leurs échanges commerciaux.

Pour le moment, la Chine n'est pas très ouverte à l'idée que sa monnaie prenne la relève du dollar américain comme monnaie de référence parce que l'appréciation du yuan qui suivrait inévitablement réduirait sa capacité à exporter.

Mais la Chine commence à libéraliser l'utilisation de sa monnaie, ce qui laisse croire que les choses peuvent changer.

Il y a des avantages importants à imposer sa monnaie au monde entier. Des avantages politiques, mais aussi et surtout économiques. Tous les pays qui ont des réserves de dollars américains permettent aux États-Unis de se financer pour pas cher. Les entreprises américaines peuvent faire des affaires partout dans le monde en faisant l'économie de coûts de change.

Perdre cet avantage de la monnaie de référence causerait un manque à gagner de 225 milliards à l'économie américaine, soit l'équivalent de 1,5% de son produit national brut, calcule l'économiste américain Barry Eichengreen, dans un livre qui vient de paraître (*).

Même s'ils se battaient pour que leur monnaie reste la référence mondiale, les Américains n'ont pas le pouvoir de renverser le cours de l'histoire. Le remplacement d'un empire économique par un autre et d'une monnaie par une autre font partie des choses qui arrivent inexorablement, sans avoir besoin du consentement ou de l'appui de quiconque.

En bon Américain, Barry Eichengreen ne peut pas croire que le billet vert perdra complètement son statut privilégié. Il préfère croire qu'il partagera un jour ce statut avec d'autres monnaies, comme l'euro et le yuan.

C'est peut-être ce qui va arriver. Mais il ne faudrait pas sous-estimer les avantages d'avoir une seule devise de référence, plutôt que deux ou trois. Ce n'est pas pour rien qu'une monnaie finit par s'imposer, c'est parce que c'est plus simple et plus économique pour tout le monde.

Les prix du pétrole, de l'or et de la plupart des matières premières sont fixés en dollars américains. Ça simplifie grandement les échanges commerciaux dans les économies de plus en plus ouvertes et interdépendantes.

D'autres solutions comme les paniers de devises dont se sert le Fonds monétaire international (les droits de tirage spéciaux ou DTS) n'ont probablement aucune chance de s'imposer à l'échelle mondiale. De tout temps, les gens ont préféré la simplicité d'une vraie monnaie à un instrument de commerce abstrait.

Nous ne sommes peut-être pas à la veille d'aller faire nos emplettes au Yuanrama plutôt qu'au Dollarama, mais il ne faudrait pas écarter cette éventualité du revers de la main.

(*) Eichengreen, Barry, Exorbitant Privilege: The Rise and Fall of the Dollar and the Future of the International Monetary System, Oxford University Press.