En Tunisie, les jeunes gens qui ont contribué à faire tomber un dictateur sont surnommés hittistes, mot d'argot franco-arabe désignant ceux qui sont adossés au mur.

Leurs homologues égyptiens, qui ont contraint cette semaine le président Hosni Moubarak à annoncer qu'il ne cherchera pas à se faire réélire, sont appelés shabab atileen, de jeunes chômeurs.

Hittistes et shabab ont des frères et des soeurs ailleurs dans le monde. En Grande-Bretagne, par exemple, on les appelle NEET - «not in education, employment or training» (pas aux études, au travail ou en formation). Au Japon, ce sont des freeters: un amalgame du mot anglais freelance (indépendant) et du mot allemand Arbeiter, ou travailleur.

Les Espagnols disent qu'ils sont des mileuristas, parce qu'ils gagnent moins de 1000 euros par mois. Aux États-Unis, on parle de jeunes «boomerang»: ils reviennent vivre chez leurs parents après l'université parce qu'ils ne peuvent pas trouver du travail.

Et même en Chine, où la croissance économique est vigoureuse et où la pénurie de main-d'oeuvre est plus fréquente que le surplus de travailleurs, on note la présence de «tribus de fourmis», soit de jeunes diplômés universitaires qui se regroupent dans des appartements miteux aux abords des grandes villes parce qu'ils ne peuvent pas trouver du travail bien rémunéré.

Dans chacun de ces pays, une économie incapable de générer suffisamment d'emplois pour absorber ses jeunes a créé une génération perdue de sujets mécontents, sans emploi ou sous-employés, y compris de plus en plus de jeunes diplômés universitaires à qui l'économie d'après-crise a peu à offrir.

La révolution du jasmin en Tunisie n'est pas la première manifestation bruyante de ces jeunes hommes et femmes marginalisés. L'an dernier, des étudiants britanniques outrés à la perspective de hausse des frais de scolarité (à un moment où une formation universitaire n'est pas une garantie de prospérité) ont attaqué le quartier général du Parti conservateur à Londres et roué de coups une limousine transportant le prince Charles et son épouse Camilla Bowles.

Des échauffourées avec la police se sont produites fréquemment lors de manifestations d'étudiants partout en Europe. Et en mars dernier, à Oakland, en Californie, des étudiants protestant contre une hausse des frais de scolarité ont bloqué l'autoroute 880 pendant une heure.

Mais ce que l'on observe plus généralement, c'est le désespoir tranquille d'une génération «en attente», aux portes de la vie adulte avec plein emploi. Sandy Brown, de Brooklyn, New York, est une jeune femme de 26 ans, universitaire, mère de deux enfants, sans emploi depuis sept mois. «J'étais gérante dans un Duane Reade, une pharmacie, à Manhattan, mais on m'a licenciée, raconte-t-elle. J'ai cherché du travail partout, mais en vain. C'est comme si j'avais obtenu mon diplôme pour rien.»

Si les détails de la situation diffèrent d'un pays à l'autre, le dénominateur commun reste toutefois l'échec, non seulement des jeunes incapables de trouver une place dans la société, mais aussi de la société elle-même pour exploiter l'énergie, l'intelligence et l'enthousiasme de la jeune génération. Autre élément encore plus inquiétant: le monde vieillit.

Dans les pays les plus développés, le marché du travail se divise entre emplois bien rémunérés que beaucoup de travailleurs n'ont pas les qualifications requises pour occuper et des emplois mal payés insuffisants pour les faire vivre, explique Harry J. Holzer, professeur de politique publique à l'Université Georgetown et coauteur d'un nouvel ouvrage Where Are All the Good Jobs Going? Nombre d'emplois qui naguère rapportaient de bons salaires aux jeunes diplômés ont été automatisés ou bien externalisés.

Le pic du chômage chez les jeunes devrait s'atténuer en Occident tandis que les effets de la crise financière de 2008 s'estompent. Un jour, la croissance économique reprendra aux États-Unis, en Europe, au Japon et dans d'autres nations. Le départ à la retraite des baby boomers accroîtra la demande de jeunes travailleurs.

Entre temps, le chômage des jeunes demeure près de son pic cyclique. Aux États-Unis, 18% des jeunes de 16 à 24 ans étaient sans emploi en décembre dernier, soit un an et demi après la fin de la récession. Chez les Noirs du même âge, le taux de chômage était de 27%.