Les Irlandais, qui vont de mauvaise nouvelle en mauvaise nouvelle depuis le début de la semaine, ont découvert hier avec consternation les mesures d'austérité drastiques que souhaite leur imposer le gouvernement pour rassurer ses bailleurs de fonds internationaux.

«Nous sommes capables et nous réussirons à passer au travers des épreuves actuelles comme nous l'avons fait par le passé. Nous aimons notre pays et nous souhaitons nous assurer que nos enfants auront aussi un avenir ici», a déclaré le premier ministre Brian Cowen en présentant le plan du gouvernement.

La coalition chapeautée par M.Cowen, qui cherche à sécuriser une aide de 85 milliards d'euros de l'Union européenne et du Fonds monétaire international (FMI), compte économiser 15 milliards d'euros sur quatre ans, dont 6 milliards avec le budget de l'année prochaine.

Le gouvernement entend notamment mettre à contribution les classes les plus défavorisées. Si le plan est adopté au début du mois de décembre, ce qui est loin d'être acquis, le revenu minimum imposable sera revu à la baisse de 18 300 à 15 300 euros, et le salaire minimum diminué d'un euro de l'heure. Trois milliards d'euros seront récupérés en révisant à la baisse l'aide sociale.

De nouvelles taxes sur la propriété et sur l'eau seront introduites et plus de 10 000 postes de fonctionnaires seront abolis. Les employés nouvellement recrutés par l'État hériteront d'un salaire réduit de 10% et d'un régime de retraite moins avantageux.

Le déficit du pays, qui atteint cette année 32% du PIB en raison de l'importance des sommes versées au secteur bancaire, laminé par l'explosion d'une importante bulle immobilière, devrait du coup revenir sous la barre de 3% en 2014, selon les projections présentées hier. Une part substantielle de l'aide internationale prévue doit servir à recapitaliser les banques, qui seront pratiquement toutes nationalisées au bout du compte.

Le scénario esquissé par le gouvernement n'a rien pour plaire aux Irlandais, qui s'inquiètent du bourbier économique dans lequel se débat leur pays, longtemps salué pour sa spectaculaire croissance.

Dans une des librairies au coeur de la capitale, une employée s'est énervée hier lorsque La Presse a évoqué le titre d'un vieux livre en rayon chantant les mérites du «Tigre celtique». «On est tellement choqués», a-t-elle lancé en faisant la moue.

Aucune manifestation d'envergure n'est survenue aux abords du parlement alors que le gouvernement dévoilait son plan.

Anthony Brannigan s'est néanmoins rendu sur place avec une poignée d'amis qui réclamaient, affiche en main, la démission immédiate du gouvernement.

«Je suis ici pour souligner ma colère et mon dégoût, mais aussi ma peur de ce qui attend mes neveux dans l'avenir», a relaté cet infirmier, qui compare l'effondrement de l'économie irlandaise à l'Apocalypse ainsi qu'à l'explosion nucléaire de Tchernobyl.

«Il y aura des radiations économiques pour des années et des années», souligne l'homme de 39 ans, qui voit mal comment le premier ministre peut demeurer en poste.

Colère

Faisant écho à ce sentiment, un tabloïd montrait hier le politicien, la tête posée sur un corps de canard, pour souligner son statut de «canard boiteux».

Tom, un homme de 60 ans qui conduit un autobus touristique à deux étages, est aussi d'avis que Brian Cowen devrait être «parti depuis longtemps».

L'homme, qui n'a pas voulu donner son nom de famille, affirme qu'il a déjà dû absorber une baisse de salaire de près de 10% en raison de la crise économique. Il pense que les hausses de taxe prévues dans le plan d'austérité fragiliseront plus encore sa situation.

«Les politiciens et les banquiers ont créé ce bordel. Maintenant, ils sont assis dans leurs belles grosses maisons et ils savourent la vie pendant que nous souffrons», peste le chauffeur en dénonçant au passage l'arrivée dans le portrait du FMI et de l'UE.

«Les fondateurs du pays qui ont lutté pour que nous puissions être indépendants doivent se retourner dans leur tombe», dit-il.

«Quand j'étais petit, l'Église catholique m'a appris que j'étais responsable de mes gestes. Mais il semble bien que ces gens-là n'ont pas de conscience. Ce sont les personnes au bas de l'échelle, comme moi, qui paient la note», indique un autre Dublinois en colère, Thomas O'Brien, qui travaille dans un hôtel du centre-ville.

Malgré l'ampleur de la catastrophe économique et de ses répercussions, les débordements restent très limités jusqu'à maintenant dans le pays. Plusieurs personnes rencontrées hier ont expliqué la situation en relevant qu'il n'est pas dans le tempérament des Irlandais de revendiquer bruyamment.

«Mais ne vous y trompez pas, la colère dans la population est énorme», relève Sean Healy, qui dirige Social Justice Ireland, une association luttant contre les inégalités sociales.

La police sera sur le qui-vive samedi lors d'une manifestation prévue dans la capitale à l'appel des syndicats, qui prévoient plus de 100 000 personnes. «Nous ne nous mettons pas facilement en colère, mais quand c'est le cas, mon Dieu, ça donne des résultats. Les Anglais le savent», prévient Anthony Brannigan.