Plusieurs pays de la zone euro continuent de se débattre avec les retombées de la crise économique, qui les oblige à imposer de nouveaux tours de vis budgétaires à des populations déjà fortement éprouvées.

C'est le cas notamment de l'Irlande, où le gouvernement tente de faire adopter un budget qui vise à réduire son déficit pour 2011 de 6 milliards d'euros par des coupes massives et des hausses de taxes tous azimuts. Les craintes de faillite font flamber les taux des obligations du pays, qui craint d'être ultimement forcé de recourir à l'aide de l'Union européenne comme l'a fait la Grèce au printemps dernier.

Le Portugal, aussi sous forte pression, a adopté il y a quelques jours un budget pour 2011 prévoyant une série de nouvelles ponctions pour les contribuables: hausse de deux points de la TVA, gel des retraites, baisse des salaires des fonctionnaires, etc.

«C'est la seule façon de protéger le pays contre la turbulence des marchés financiers», a plaidé le premier ministre socialiste, José Socrates.

L'Union européenne vient d'adopter de son côté, à l'initiative de la France et de l'Allemagne, un plan de «discipline budgétaire» qui soumet les pays membres à un contrôle plus sévère et à des sanctions plus rapides en cas de mauvaise performance.

Bien que les plans d'austérité adoptés un peu partout en Europe soient souvent d'une grande sévérité, les réactions populaires demeurent somme toute limitées, se félicitait il y a quelques jours en éditorial La Tribune.

Pastichant le titre d'un ouvrage de l'écrivain Michel Houellbecq, le quotidien économique français a relevé que «l'extension du domaine de l'austérité se fait (presque) sans broncher».

«D'Athènes à Madrid, de Dublin à Londres en passant par Lisbonne, les mauvais élèves de l'Europe, soumis à la pression de Bruxelles, voire du FMI (Fonds monétaire international), ont ingurgité la potion amère», relève le journal.

Le quotidien L'Humanité, campé résolument à gauche, fait une analyse radicalement différente dans un récent article, relevant que la mobilisation augmente «d'est en ouest» face aux «tentatives de démontage du modèle social européen».

«Il ne se passe quasiment pas une journée au sein de l'Union européenne sans une grève ou une grande initiative mettant en cause les politiques de casses sociales, de coupes salariales et le démantèlement des services publics», relève la publication.

Les analystes ne s'entendent pas non plus sur le sens à donner aux manifestations survenues en France contre la réforme des retraites, qui a finalement été promulguée par le président Nicolas Sarkozy sans modification majeure.

Dominique Moisi, de l'Institut français des relations internationales, reprochait il y a quelques semaines aux manifestants d'utiliser des méthodes «révolutionnaires pour exprimer leurs penchants extrêmement conservateurs».

«Bien qu'ils sachent que ce qu'ils demandent est parfaitement illégitime, ils trouvent qu'il est parfaitement justifié de continuer», a-t-il souligné dans un texte publié par le quotidien The Guardian.

L'analyse «manque complètement d'empathie» aux yeux de l'économiste et sociologue français Éric Maurin, qui comprend la colère manifestée dans la rue.

La société française, dit-il, est construite sur l'idée qu'il faut, au sortir des études, traverser une période de précarité de plusieurs années avant d'accéder à un statut confortable. Les travailleurs, une fois protégés, sont rétifs à toute remise en question du «contrat implicite» auxquels ils ont adhéré.

Même les jeunes Français, qui servent de «variable d'ajustement» en temps de crise, continuent d'adhérer à ce modèle aujourd'hui en pensant qu'ils seront récompensés plus tard, juge M. Maurin. Le système rend le pays «très difficile à réformer».

Le sociologue Louis Chauvel, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris, pense que la réforme des retraites fait porter, pour des raisons électoralistes, un poids beaucoup trop important aux travailleurs dans la force de l'âge plutôt qu'aux retraités.

La classe politique et la population manquent, selon lui, de «responsabilité» face à la situation économique de la France et préfèrent que le pays continue à vivre grand train à crédit plutôt que de prioriser des investissements susceptibles d'assurer l'avenir des jeunes.

À terme, la détérioration de la situation économique va limiter dramatiquement la capacité d'action des élus et alimentera la grogne, prévient l'analyste.

L'insatisfaction risque aussi de monter à l'échelle européenne, souligne-t-il. «Pour l'instant, les populations sont un peu groggy. Les gens n'ont pas vraiment pris conscience de la nouvelle temporalité politique et sociale. C'est un peu le silence des agneaux avant l'abattage», dit M. Chauvel.