Le cap sur la rigueur mis par la France sous la pression de Bruxelles et des marchés est, à l'heure d'une reprise économique encore poussive, un pari risqué qui divise les économistes, même si les plus libéraux défendent le choix du gouvernement de purger les déficits.

C'était tout l'exercice d'équilibriste du projet de budget 2011 présenté mercredi en Conseil des ministres: passer de 7,7% de déficit public à 6% l'an prochain sans tuer dans l'oeuf la croissance, en coupant trop vite et trop fort dans les dépenses.

Or, le gouvernement juge la reprise désormais suffisamment enclenchée pour pouvoir s'attaquer à ses déficits: il prévoit une croissance du produit intérieur brut (PIB) de 1,5% cette année, 2% l'an prochain avant de croître régulièrement de 2,5% jusqu'en 2014.

«Avec la reprise, le redressement des finances publiques est un impératif, pour éviter que le poids de la dette publique ne vienne menacer le potentiel de croissance», souligne le texte du projet de loi. Un raisonnement que soutiennent sur le fond de nombreux économistes parmi les plus libéraux.

Avec la crise, le déficit et la dette ont explosé. «Cela risquait de mettre en péril tout le processus de croissance, comme ce qu'ont connu la Grèce et l'Irlande», explique Christian Saint-Etienne, de l'Université de Paris-Dauphine.

Selon lui, une dette trop élevée risque de susciter la défiance des marchés, et donc de provoquer une flambée des taux d'intérêt auxquels la France emprunte «qui se propagerait au secteur privé». «La seule question qu'il faut se poser, c'est de savoir si le plan du gouvernement est suffisant», affirme-t-il.

Deuxième argument des partisans de la rigueur budgétaire: «l'effet ricardien», selon lequel les ménages consomment moins - et donc épargnent davantage - quand un État laisse filer ses déficits, car ils anticipent des hausses d'impôts.

«C'est la théorie dominante à Bruxelles, même si ça ne tient pas la route économiquement», rétorque l'économiste keynésien Eric Heyer, directeur adjoint de l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques). «En tous cas, ce n'est pas la théorie suivie par les États-Unis», rappelle-t-il.

De fait, le président américain Barack Obama a annoncé récemment de nouvelles mesures de relance, estimant que seule une croissance durable permettra à l'État de dégager les ressources nécessaires pour s'attaquer aux déficits. Ce raisonnement est à l'opposé des choix européens.

Avec ses promesses faites à Bruxelles, «le gouvernement n'avait tout simplement pas le choix», tranche Elie Cohen, directeur de recherches au CNRS.

«Dans ce cadre, le gouvernement ne fait pas dans l'excès. L'effort budgétaire est millimétré: la direction a été choisie, mais on y va à pas lents et comptés. Rien à voir avec ce qu'on observe dans d'autres pays en Europe, comme l'Espagne, le Portugal ou l'Irlande», affirme-t-il.

L'exécutif a ainsi réduit les niches fiscales et sociales de 9,4 milliards d'euros en 2011, tout en en préservant certaines parmi les plus coûteuses car réputées favorables à l'emploi, comme la TVA réduite dans la restauration ou la prime pour l'emploi.

Il n'empêche, selon Karine Berger, chef économiste chez Euler Hermes, la rigueur budgétaire «amoindrira la croissance française d'au moins 0,5 point (de PIB) l'an prochain», en limitant la consommation des ménages, véritable point fort de l'économie française ces derniers mois.

Et il y a fort à parier que le débat se posera de nouveau dans les mois et les années à venir: la plupart des économistes jugent en effet trop optimistes les prévisions de croissance du gouvernement.