Avril 2010. La Grèce est au bord du gouffre. L'agence de notation Standard&Poor's qualifie ses obligations de «pourries». L'État hellénique évite de justesse la faillite grâce au sauvetage du FMI et de l'Europe. Quatre mois plus tard, les économistes applaudissent les mesures de choc imposées par le gouvernement. Toutefois, dans les rues, c'est le sauve-qui-peut. La consommation s'enlise et le chômage explose. La Grèce va-t-elle s'en tirer?

Les touristes en visite à Athènes apprennent un nouveau mot grec ces jours-ci: «Enoikiazetai», «À louer» en français. Ce terme apparaît en lettres rouges à tous les cent mètres sur les vitrines commerciales du centre-ville.

Même dans le quartier chic de Syntagma, quatre locaux sont à louer en face d'un Dolce&Gabbana.

Ce sera bientôt au tour de Rag, la boutique de George Mylonas. L'homme svelte de 45 ans a perdu toutes ses économies depuis son ouverture en novembre 2009.

«À l'époque, les affaires n'allaient pas trop mal, dit l'homme aux cheveux poivre et sel. Mais le gouvernement a coupé les salaires alors les Grecs ne dépensent plus. Je vais fermer le 1er octobre.»

Le remède brutal du gouvernement de George Papandréou pour pulvériser le déficit budgétaire commence à se faire sentir. Douloureusement.

Paralysie en vue

Les commerçants grecs suffoquent. Près du quart mettront la clé à la porte dans la capitale d'ici la fin de l'année, selon les projections de la Confédération nationale du commerce hellénique (CNCH). À l'échelle nationale, 170 000 PME prévoient fermer en 2011, poussant au chômage 300 000 personnes.

«L'heure est grave, explique à La Presse le président de la CNCH Vasilis Korkidis. Les banques ne prêtent plus. Cette année, elles ont seulement alloué 84 millions d'euros aux petites entreprises en comparaison à 960 millions lors de la même période en 2009.»

Le porte-parole des PME talonne les ministres pour stopper une hausse vertigineuse de la taxe de vente, qui passera de 12 à 23% pour les produits alimentaires en janvier 2011.

Mais l'État hellénique a peu de marge de manoeuvre à cause des exigences sévères de ses bailleurs de fonds, qui lui ont accordé 110 milliards d'euros sur trois ans.

Jusqu'à présent, il a démontré une volonté de fer: coupes dans les salaires et les pensions de la fonction publique et du secteur privé, hausse de l'impôt et des taxes, chasse aux fraudeurs fiscaux.

Résultat, le déficit budgétaire a déjà été réduit de 37,9%. Impressionnée, la «troïka», composée du FMI, de la Banque centrale européenne et de l'UE, a autorisé un nouveau versement de neuf milliards d'euros à la mi-septembre.

Chômage et grèves

Pourtant, la récession pourrait empirer. Le taux de chômage atteint 12,1% et pourrait franchir la barre des 15% en 2011.

Nerveux, les travailleurs se serrent la ceinture, une catastrophe pour l'économie grecque dont 70% carbure à la consommation domestique. Les analystes prédisent une contraction du PIB de 4% cette année.

Comme un malheur n'arrive jamais seul, les touristes furent moins nombreux cet été, rebutés par les émeutes du mois de mai (où trois employés de banque ont péri). Leur exode s'est traduit par une perte de 10% des revenus de l'industrie touristique.

Le plus difficile reste encore à faire pour le gouvernement: privatiser les sociétés d'État déficitaires et dompter les syndicats tout-puissants. La grève de six jours des routiers en juillet, qui a mis à sec les réservoirs d'essence du pays, fut un avant-goût de ce qui se dessine cet automne.

Les «ateliers fermés», ces professions hyper-syndiquées et hermétiques, promettent la guerre au premier ministre Papandréou qui désire libéraliser le marché du travail.

Pour Kostas, la bataille est déjà perdue. Sans emploi depuis deux ans, l'ouvrier de construction joint les deux bouts grâce à des jobines au noir. «Je n'ai pas d'avenir», résume l'homme à la peau cuite par le soleil qui préfère taire son nom de famille.

Les temps sont aussi durs pour les travailleurs diplômés. Malgré son baccalauréat en sociologie et son doctorat en musique, Grigoris Grigoriou ne trouve rien depuis sont départ forcé de Siemens en avril. «Je vais chercher un emploi en France cet automne», déclare l'homme de 32 ans.

Quant à George Mylonas, qui fermera sa boutique en octobre, la perspective de son avenir assombrit son visage. «Il est trop tard pour moi pour quitter le pays. Je pense que je vais redevenir barman», dit-il en roulant une cigarette.

La crise en chiffres

> Prêt de la «troïka» (FMI, BCE, UE) accordé en mai: 110 milliards d'euros sur trois ans

> Déficit budgétaire: 12,1 milliards d'euros (juillet 2010)

> Réduction du déficit budgétaire depuis janvier 2010: 39,7%

> Baisse du PIB en 2010: 4%

> Inflation: 5,5%

> Dette publique: 317 milliards d'euros

> Chômage: 12,1% (juillet 2010)

 

 

Photo Reuters

Photo Reuters