Les travaux ont à peine commencé, mais la colère est vive à Stuttgart (sud-ouest de l'Allemagne) contre l'un des plus grands projets d'aménagement ferroviaire et urbain en Europe.

Vendredi soir, quelque 30 000 personnes ont protesté dans la capitale du Bade-Wurtemberg contre «Stuttgart 21», un projet herculéen d'un coût de 7 milliards d'euros sur neuf ans, selon les organisateurs des manifestations.

«Stuttgart 21» prévoit 16 tunnels, 18 ponts, 60 kilomètres de voies, 3 nouvelles gares... et l'enfouissement d'une partie de la gare centrale et des rails.

Objectif: transformer Stuttgart en l'un des principaux noeuds ferroviaires du pays, par lequel transiteront des trains à grande vitesse reliant Paris à Bratislava via Strasbourg et Vienne, sur 1.500 km.

Un projet-clé pour un Etat régional de 10 millions d'habitants où siègent des géants de l'industrie comme Daimler, Porsche ou Bosch, mais où est aussi implanté un vaste tissu d'entreprises familiales exportant aux quatre coins du monde.

«Près de 2,5 millions de personnes vivent dans la région de Stuttgart et ils sont coincés dans les bouchons du soir au matin», explique à l'AFP le porte-parole de Stuttgart 21, Wolfgang Drexler. «Depuis 20 ans, il n'y a eu aucun projet de construction majeur».

Mais «Stuttgart 21» a aussi de nombreux détracteurs, qui ont lancé une série d'actions depuis le début des travaux ce mois-ci.

Ils en dénoncent le coût, la destruction d'une partie de l'actuelle gare datant de l'entre-deux-guerres, les nuisances à long terme en ville... et doutent que le projet puisse doper le trafic ferroviaire autant qu'espéré.

«On se sent floués», dit Frank Dvorschak, un proviseur de 54 ans. «Je viens aux manifestations quand je peux avec ma famille. Cela grossit de plus en plus», se félicite-t-il.

Le vent a tourné depuis 1995: à l'époque de l'adoption du projet, censé libérer de l'espace au sol pour des parcs et des projets immobiliers, la majorité des citoyens y était favorable.

«Et je reste persuadé que c'est bien», insistait le patron de la Deutsche Bahn, la compagnie des chemins de fer allemand, Rüdiger Grube, dans une interview dimanche.

Alors que des élections régionales sont prévues en mars, «Stuttgart 21» risque d'être un thème fort de la campagne de l'opposition social-démocrate et écologiste, qui veut renverser le gouvernement conservateur-libéral (CDU-FDP) favorable à la chancelière Angela Merkel.

Au-delà de ce projet particulier, les experts s'accordent sur le piteux état du réseau ferroviaire allemand.

En France, un TGV met à peine deux heures pour un Paris-Lyon, mais Hambourg-Cologne prend deux fois plus de temps pour une distance équivalente. La voiture n'est pas plus rapide, et les Allemands prennent donc volontiers l'avion.

Dans un pays fédéral aux multiples métropoles, les trains à grande vitesse ICE effectuent beaucoup plus d'arrêts qu'en France, relève Christian Böttger, expert des transports à l'Institut berlinois de technique et d'économie (HTW).

La planification des projets est plus lente en Allemagne, où les villes et régions (Länder) usent de l'influence que leur donne leur rôle financier pour orienter les projets, refusant de perdre une connexion ICE ou exigeant une gare en centre-ville, soulignent les experts.

Sans oublier le puissant lobby automobile, qui complique le dessein d'une Allemagne verte, ajoute M. Böttger. «60% des Allemands n'utilisent jamais les transports en commun. Et vous ne pouvez pas gagner une élection si vous vous les mettez à dos».