L'Europe est-elle condamnée à la stagnation ? Non, affirment des économistes, grands patrons et responsables politiques, mais elle doit se réformer, réduire ses déficits et miser sur l'innovation si elle ne veut ne pas rester en marge de la reprise mondiale.

«Sans changement de politique, la croissance potentielle de l'Europe pour les dix années qui viennent sera autour de 1,3 à 1,5% par an. Il nous faudrait alors des années pour retrouver les niveaux de chômage d'avant-crise», résume l'économiste français Christian de Boissieu, qui intervenait ce week-end lors des Rencontres économiques d'Aix-en-Provence, dans le sud de la France.Loin de pouvoir afficher des taux de croissance comparables à ceux des pays émergents, l'Europe risque d'être largement distanciée, faisant craindre qu'elle ne soit réduite à «un lieu de culture et de tourisme», selon Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, organisateur de la réunion.

Pour y remédier, la première étape consiste à réduire les déficits publics, s'accordent à reconnaître les intervenants des Rencontres. «Il faut passer par une phase d'austérité avant de redéboucher sur une croissance saine», résume l'ancien ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine.

Ce nécessaire assainissement des finances européennes passe par une meilleure coordination. «La priorité, c'est qu'il y ait un vrai débat franco-allemand sur les divergences, et non ce dialogue constant et vain que l'on constate», plaide M. Védrine.

Pas question pour autant de laisser le redressement des comptes publics peser sur une potentielle reprise de la croissance. L'économiste et essayiste français Jacques Attali plaide ainsi pour la mise en place d'un «accélérateur» à côté du «frein».

«Nous avons une chance inouïe : nous n'avons pas de bons du Trésor européens, l'UE n'a pas de dette», résume-t-il, militant pour que l'Europe se dote d'une capacité d'emprunt de l'ordre de «10% de son PIB».

Même idée chez le patron d'EADS Louis Gallois, qui se prononce également pour un «grand emprunt» européen, une proposition qu'a reprise le Cercle des économistes dans sa déclaration finale. Pour préparer l'avenir, l'Europe doit en effet pouvoir continuer à investir - dans l'innovation, dans les technologies vertes, dans l'éducation.

«Il faut innover, il faut être en avance d'un temps», insiste l'ancien Premier ministre français Alain Juppé.

«L'innovation et les services sont décisifs», renchérit M. Gallois. «La désindustrialisation des Etats-Unis n'a pas touché les secteurs des très hautes technologies, car ils ont su attirer l'intelligence mondiale».

Pour rebondir, l'Europe doit «changer de modèle de croissance», résume M. Juppé. Rappelant l'importance des questions de développement durable et d'écologie, M. Védrine appelle à «un bond géant en matière d'innovation dans ce domaine» : «si ce n'est pas nous qui le faisons, ce seront les pays émergents.»

Reste à trouver le moyen d'articuler ces deux priorités - assainissement des finances et investissements dans l'avenir - a priori antinomiques.

Une difficulté qui semble à nouveau accréditer l'idée d'une nécessaire refonte des politiques européennes, selon l'économiste Agnès Bénassy-Quéré : «l'UE manque de cohérence entre sa stratégie à court et moyen termes, centrée sur la réduction des déficits, et celle de long terme, qui cherche à promouvoir l'investissement dans l'économie de la connaissance».

«Rétablir une certaine cohérence des objectifs à divers horizons devrait être la priorité de la coordination intra-Union européenne», conclut-elle.