Depuis trois semaines, tous les regards sont tournés vers l'Afrique du Sud, un pays que la planète redécouvre, 16 ans après ses premières élections multiraciales. Charles Sirois n'a pas attendu la Coupe du monde de soccer pour fouler ce terrain. Sa fondation y appuie des entrepreneurs depuis 2004.

Charles Sirois l'avoue avec candeur. Lorsque l'idée de lancer une fondation pour aider les pays sous-développés a germé, au début des années 2000, il ne pensait pas l'établir en Afrique du Sud.

Il avait plutôt songé à la République Dominicaine ou à une autre île des Caraïbes. Des pays plus proches, dans tous les sens du terme.

C'est Jean Chrétien qui lui a fait changer d'avis. Si le gouvernement du Canada devait verser 10 millions de dollars pour démarrer Enablis, il y mettait une condition. L'aide devait d'abord aller à l'Afrique, l'un des thèmes de la rencontre du G8 que ce premier ministre a organisée en 2002 à Kananaskis, en Alberta.

C'est ainsi que cet entrepreneur originaire du Lac Saint-Jean est parti à la reconnaissance de la nation arc-en-ciel. Au fil de ses voyages, il y a découvert un pays qui, à ses yeux, présente certains parallèles avec le Québec des années 50.

«Lorsqu'un peuple n'a jamais eu les leviers de son économie, cela prend plusieurs générations avant de changer les choses. Au Québec, on a fait des pas de géants en 30 ou 40 ans, mais on s'est donné les moyens d'y arriver, dit Charles Sirois, en entrevue à son bureau de Montréal.

«L'Afrique du Sud partait d'encore plus loin à la chute de l'apartheid. Mais c'est pas possible tout le chemin parcouru depuis 1994 !»

C'est de cette Afrique dont le président du conseil et chef de la direction d'Enablis veut parler. Celle d'Apollo Segawa, qui produit des jus de fruits à partir d'une banane indigène. Celle de Dumisani Nkala, qui concurrence les opérateurs établis en revendant des services de télécommunications.

«L'Afrique a de belles histoires de succès, mais cela se vend mal, dit-il. La misère, c'est une grosse business en Afrique ! Le monde qui crève de faim, le sida, la guerre...

«Je ne suis pas en train de dire que cette réalité n'existe pas. Mais, c'est comme si quelqu'un venait à Montréal et présentait uniquement les sans-abri de la rue Sainte-Catherine. L'Afrique, ce n'est pas juste cela !»

Charles Sirois est convaincu que le gêne de l'entrepreneurship est également distribué dans tous les pays, dans toutes les couches de la société. «C'est un trait de caractère que tu as à la naissance, dit-il. Mais, s'il y a moins d'entrepreneurs en Afrique du Sud qu'au Kenya, c'est qu'ils se sont fait dire pendant des années de fermer leur gueule.»

Les entrepreneurs d'Afrique du Sud font ainsi face à des difficultés qui sont propres à ce pays, note Paul Lamontagne, grand patron d'Enablis Afrique. Ce banquier de formation qui travaille depuis plus de 15 ans pour des entreprises du holding de Charles Sirois, Télésystème, a déménagé à Cape Town avec sa famille, en 2005, pour jeter les bases de la fondation. Sur place, il a constaté à quel point l'éducation rudimentaire de l'apartheid a laissé des séquelles.

«Ce qui m'a surpris le plus, raconte-t-il, attablé à la terrasse d'un hôtel de Johannesburg, c'est le nombre d'entrepreneurs qui n'ont même pas de plan d'affaires.» C'est de là qu'est née l'idée de lancer un concours national de plan d'affaires, la plus importante activité du genre au pays. L'an dernier, plus de 6000 Sud-Africains se sont inscrits à ce concours qui ne récompense que 20 gagnants. Du nombre, 2500 personnes ont soumis un plan d'affaires pour lancer une entreprise ou pour appuyer la croissance d'une PME existante.

Une autre particularité du pays tient à la structure de son économie. La plupart des industries sont dominées par quelques grands acteurs, observe Paul Lamontagne. L'Afrique du Sud compte peu de sociétés de taille moyenne. Ainsi, les entreprises en démarrage ont de la difficulté à décrocher des contrats, parce qu'elles n'ont pas le volume de production ou la qualité pour satisfaire des clients aussi exigeants.

Pour contourner cette difficulté, Enablis s'est notamment associée au grand détaillant en alimentation Pick n Pay pour aider les petits transformateurs en agroalimentaire comme Exotic Banana Products à se trouver une place sur les tablettes des supermarchés.

Les PME en Afrique du Sud ont aussi du mal à se dénicher du financement, mais ce problème est... universel. Enablis offre du financement à certains de ses entrepreneurs (une minorité) par l'entremise de deux fonds.

Le premier offre des garanties de prêt à hauteur de 90%, le reste du risque étant assumé par son partenaire financier, First National Bank. Ce fonds a affiché un rendement de 9,8% en 2008-2009 et de 3,5% en 2009-2010, un recul qui s'explique par le récession. C'est avec ce rendement que la fondation espère devenir autosuffisante, pour s'affranchir de ses donateurs et pour compter sur un financement plus prévisible.

Le deuxième fond, créé plus récemment, finance directement des entreprises en démarrage avec des prêts aux taux du marché.

«Ce n'est pas toujours évident de comprendre qu'on peut réduire la pauvreté en développant des entrepreneurs, dit Charles Sirois. Les agences de développement sont plus habituées à construire des écoles, à creuser des puits, à envoyer des médicaments, toutes choses dont l'impact est immédiat.

«Nous, on s'est dit qu'on prendrait des gens qui connaissent un certain succès et qu'on leur donnerait les ressources pour qu'ils en aient encore plus.»

Les entrepreneurs membres d'Enablis en Afrique du Sud ont créé près de 7350 emplois à temps plein et à temps partiel entre 2005 et 2009, révèle un sondage des membres effectué par une firme indépendante. C'est plus de 10 emplois par entrepreneur !

«Et pour chaque emploi que l'on crée, le gouvernement de l'Afrique du Sud nous dit qu'on sort 10 personnes de la pauvreté», s'enthousiasme Charles Sirois.

Après un séjour de cinq ans en Afrique, Paul Lamontagne s'apprête à quitter le continent, où Enablis a atteint sa vitesse de croisière. Il met le cap sur l'Amérique du Sud, où la fondation compte faire des petits. Mais on le sent déjà ému de quitter l'Afrique du Sud et les gens d'affaires qu'il y a rencontrés.

«Ce sont ces entrepreneurs qui vont changer le monde», dit-il.

ENABLIS

> Année de fondation : 2004

> Partenaires fondateurs : Télésystème, Accenture, gouvernement du Canada

> Rayonnement : 12 sections locales dans six pays (Afrique du Sud, Ghana, Kenya, Mozambique, Tanzanie et, depuis peu, Rwanda)

> Effectif : 45 employés

>Entrepreneurs membres : 1094 dont 664 en Afrique du Sud

> Activités : formation (séminaires en petits groupes, activités de réseautage entre entrepreneurs); mentorat; concours de plan d'affaires; financement (garanties de prêts, prêts).