La décision de la Chine de laisser sa monnaie s'apprécier a été saluée par les politiciens et les investisseurs partout sur la planète. Est-ce le début d'une nouvelle ère ou un geste diplomatique à la veille de la rencontre du G20? Un peu des deux, estiment les spécialistes interrogés hier par La Presse Affaires. Mais à part ceux du secteur des matières premières, les exportateurs canadiens n'ont rien pour se réjouir.

À court terme, l'impact sera même négatif pour les exportateurs canadiens, estime Simon Prévost, président des Manufacturiers et exportateurs du Québec. La nouvelle vigueur du yuan fera augmenter le dollar canadien, le prix du pétrole et celui de toutes les autres matières premières, explique-t-il, ce qui affectera négativement nos fabricants et nuira aux exportations.

«Ils ne sortiront pas le champagne aujourd'hui», convient Mathieu D'Anjou, économiste principal du Mouvement Desjardins. L'appréciation du yuan va rendre les biens produits à l'étranger plus accessibles aux Chinois, précise-t-il, mais on parle d'une appréciation très modeste.

À plus long terme, l'effet d'un taux de change chinois qui fluctue avec les conditions du marché sera probablement bénéfique pour tout le monde, croit Simon Prévost. «C'est un cas d'impact à long terme probablement positif et d'impact à court terme assurément négatif, résume-t-il. Entre les deux, les ajustements sont souvent douloureux.»

Chez Desjardins, les économistes estiment que la décision du gouvernement de laisser fluctuer le yuan, même dans une fourchette très étroite, est plus positive pour l'économie mondiale que pour les entreprises. «Ça ne va pas nécessairement accroître la croissance économique, mais ça va aider l'économie mondiale à se rebalancer», dit Mathieu D'Anjou.

Avec une devise qui prendra de la vigueur, les Chinois auront un pouvoir d'achat accru pour les matières premières et pour faire des acquisitions à l'étranger dans les secteurs qu'ils jugent stratégiques pour leur économie, comme celui de l'énergie. Le magasinage à l'étranger du gouvernement chinois risque de s'amplifier, prévoient les observateurs.

Par contre, les produits chinois deviendront plus coûteux pour les acheteurs étrangers. Les énormes excédents commerciaux chinois continueront de s'accumuler, mais à un rythme moins rapide. Ce n'est pas une bonne nouvelle pour les États-Unis et leur énorme déficit public, financé en grande partie par les Chinois. «Avec moins de surplus, les Chinois seront moins enclins à acheter des obligations du gouvernement américain, croit l'économiste de Desjardins. Ça pourrait faire augmenter les coûts de financement du gouvernement américain, quoique de façon marginale», estime-t-il.

Bon moment

Le gouvernement chinois a décidé de jeter du lest à la veille de la rencontre du G20, où sa politique de taux de change fixe aurait fait face à des critiques musclées. Il ne l'a pas fait uniquement pour s'attirer la sympathie de ses partenaires commerciaux, explique Luc Savard, directeur du groupe de recherche en économie et en développement international de l'Université de Sherbrooke.

À long terme, une politique de taux de change fixe alimente l'inflation et suscite des problèmes à l'interne. «On a vu qu'il y a eu des grèves et que le gouvernement a dû augmenter les salaires de 25% à 30% dans certains cas, illustre-t-il. Il a décidé d'agir avant que ça ne dégénère».

Pour combattre cette inflation, le gouvernement avait le choix entre augmenter les taux d'intérêt ou laisser fluctuer le taux de change. Il a choisi le taux de change, qui fera augmenter les importations et diminuer les exportations. «Il juge que l'économie peut se le permettre», dit Luc Savard, en rappelant qu'après avoir baissé sous les 10% pendant la récession, le taux de croissance de l'économie chinoise a recommencé à croître à un rythme supérieur à 10%.

Selon lui, la décision de laisser varier le yuan a surtout été prise «pour diminuer la pression dans la marmite» interne.