Le Icelandic Bar restaurant, au coeur de Reykjavik, sert aux clients les plus téméraires un mets traditionnel islandais, le hakarl, qui ne laisse personne indifférent.

Les petits morceaux de viande proviennent d'un requin enfoui pendant des mois dans le sol pour atteindre un état de putréfaction. Ils sont placés dans un petit bocal scellé de manière à éviter, comme l'explique le chef local, que «les arômes s'échappent».

Une puissante et agressante odeur d'ammoniaque provient de la chair caoutchouteuse, dont on efface le goût, peu recommandable, par un petit verre de tord-boyaux local.

Les actions des requins de la finance islandais sont tout aussi indigestes, à en juger par les conclusions du comité parlementaire chargé de faire le point sur l'effondrement du système bancaire du pays en 2008.

Cet automne-là, le gouvernement avait dû intervenir d'urgence pour nationaliser les trois principales banques du pays, qui ont explosé en taille en quelques années en empruntant largement sur les marchés internationaux.

Le rapport de la commission parlementaire, rendu public il y a quelques semaines, est venu confirmer ce que beaucoup d'Islandais pensaient, à savoir que tout n'était pas très net dans la gestion des établissements en question. Dans plusieurs cas, les principaux actionnaires des banques se sont fait octroyer des prêts massifs à des conditions plus qu'avantageuses et ont acheté des quantités importantes d'actions de leur entreprise en sous-main pour en manipuler le cours, cachant la fragilité de la situation sous-jacente.

L'organisme de régulation financière local, complètement à la traîne, s'est montré incapable de contrôler l'activité des banques. Les élus, eux, ont laissé aller, en toute connaissance de cause ou par négligence, reflétant l'idéologie ultralibérale du gouverneur de la Banque centrale, David Oddsson, qui s'est depuis recasé à la tête du journal Morgunbladid, l'un des principaux quotidiens du pays.

«Les dirigeants des banques ont fait preuve d'une arrogance et d'une avarice absolues... Il est incroyable que ces gens que tout le monde connaissait se soient avérés être d'horribles criminels», fustige Iris Erlingsdottir, réalisatrice de Reykjavik qui prépare un film sur l'effondrement de l'économie islandaise.

Dans les dernières semaines, le procureur spécial chargé d'enquêter sur le krach, Olafur Thor Hauksson, a donné de nouvelles indications de l'étendue des abus en procédant à l'arrestation d'une série d'anciens administrateurs de Kauphting, l'une des trois banques. Il a aussi fait émettre un mandat d'arrestation Interpol contre l'ex-dirigeant de l'entreprise, Sigurdur Einarsson, qui vit à Londres.

Parallèlement, la nouvelle administration d'une autre banque nationalisée, Glitnir, a déposé une poursuite dans l'État de New York pour réclamer une somme de deux milliards de dollars «frauduleusement et illégalement détournée» par les anciens gestionnaires de l'entreprise.

Procureur spécial

Les administrateurs des banques devront aussi composer avec le procureur spécial, qui est assisté par Éva Joly, une ex-juge d'instruction franco-norvégienne spécialisée dans les malversations financières internationales, et une équipe d'une trentaine de personnes. «Le procureur est l'incarnation même de l'intégrité. Le problème est que les malversations sont difficiles à prouver. Et que les personnes concernées ont les moyens de mettre des bâtons dans les roues des enquêteurs à toutes les étapes du processus», souligne Mme Erlingsdottir.

En attendant de voir les têtes rouler, les Islandais s'accrochent, tentant tant bien que mal de surmonter les difficultés économiques liées à la crise. Le nouveau gouvernement, qui a dû faire appel au Fonds monétaire international, applique un programme d'austérité qui oblige tout le monde à se serrer la ceinture. Le chômage, traditionnellement presque nul, approche des 10%.

L'effondrement de la couronne a fait exploser le prix des produits importés, déplore Kristin Ingadottir, qui travaille dans une petite boutique du centre de Reykjavik. «La nourriture est beaucoup plus chère. Je dois vraiment faire très attention pour me rendre à la fin du mois», souligne la femme de 25 ans, qui ne cache pas son mépris pour la classe politique.

«Je ne fais confiance à aucun d'entre eux... Ils ont encore leurs gros salaires mais pour nous, ça va mal», déplore-t-elle.

Ex-journaliste, Gretar Gudmundsson pense que le pays «n'a pas encore atteint le fond du baril» et que la situation économique va continuer à se détériorer.

Les 300 000 habitants de l'île, conscients des risques, ont mis la pédale douce à la consommation après des années de frénésie inspirées par l'accès à des crédits faciles. «Les gens sont conscients que tout pourrait se produire de nouveau», souligne celui qui a entrepris une maîtrise en éthique des affaires.

«Je pense que je ne manquerai pas de travail», dit-il.