Alors que les négociations se poursuivent cette semaine dans la capitale fédérale sur un éventuel accord de libre-échange entre l'Europe et le Canada, une coalition s'inquiète de l'incidence qu'une telle entente pourrait avoir au pays.

Le Réseau pour le commerce juste, qui rassemble des organismes de la société civile, des groupes environnementaux et des syndicats, a mis la main sur une copie préliminaire faisant état des négociations qui sont en cours depuis plusieurs mois entre Ottawa et l'Union européenne.

En vertu de ce texte, la coalition craint que, en ouvrant les frontières canadiennes aux Européens, un accord entre les deux entités nuise au secteur des télécommunications, de l'agriculture, à l'environnement, à la culture ainsi qu'aux politiques sociales et aux marchés publics.

«Cet accord vise à aller au-delà des frontières, à restructurer le paysage économique canadien et européen, à rendre plus difficile de réglementer l'activité des entreprises dans l'intérêt public. En ce sens, ce n'est guère révolutionnaire, mais c'est plutôt le même stratagème pour les droits des entreprises que les gens, les économistes, et plusieurs gouvernements rejettent sur la scène internationale», a affirmé un porte-parole du Réseau pour le commerce juste, Stuart Trew, en conférence de presse à Ottawa lundi.

Selon l'ébauche secrète de l'entente, rédigée le 13 janvier et consultée par le Réseau, le nouvel accord de libre-échange compterait notamment une clause semblable à celle prévue dans l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), quant au règlement des différends opposant un investisseur et un État, qui n'a pas fait ses preuves.

En vertu de cet article, l'ALENA permet à des multinationales de poursuivre les gouvernements afin de se faire indemniser, si leurs politiques de santé publique et de protection de l'environnement restreignent leurs profits. Et le Québec en a déjà fait les frais, comme l'ont rappelé les représentants du Réseau pour le commerce juste.

En octobre dernier, la compagnie Dow AgroSciences, qui fabrique un pesticide interdit au Québec, a déposé une intention de poursuite contre Ottawa, demandant au fédéral de retirer l'herbicide du Code de gestion des pesticides de la province, de même qu'un dédommagement de 2 millions en compensation des profits qu'elle aurait perdus depuis son entrée en vigueur.

Par ailleurs, comme l'Union européenne domine les négociations, par sa taille et en raison du fait que le Canada a plus à perdre si les pourparlers échouent, la coalition craint qu'Ottawa en cède trop aux Européens. Car l'accord viserait en outre, selon le Réseau, à ouvrir davantage de secteurs à la libéralisation du commerce que l'ALENA ou les accords négociés à l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

«Ceci est au coeur de la politique économique extérieure de ce présent gouvernement (canadien). Je pense que les Européens pourraient partir de la table de négociations à tout moment sans qu'il y ait de répercussions politiques nationales. Et vous pouvez le voir dans leurs demandes, qui sont déraisonnables et extrêmes», a estimé Scott Sinclair, du Centre canadien de politiques alternatives, qui participait également au point de presse de la coalition.

Le projet d'accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne est cher au premier ministre québécois, Jean Charest, qui en est son principal instigateur et qui en a fait la pierre d'assise de son «nouvel espace économique».

En raison de ses liens économiques avec l'Europe, le Québec pourrait grandement tirer profit d'une telle entente. M. Charest avait d'ailleurs estimé, en octobre dernier, qu'une fois signée, «ça va beaucoup être une entente Europe-Québec».

Une vingtaine de groupes ont signé une déclaration conjointe du Réseau pour le commerce juste, présentant 11 revendications quant aux négociations sur l'accord commercial.

La coalition tiendra également des consultations publiques à Ottawa, Montréal et Toronto, cette semaine, afin de sensibiliser la population à ses préoccupations.