Dubaï était considéré jusqu'à tout récemment comme un eldorado. Un lieu où il suffisait d'atterrir avec quelques dollars en poche pour multiplier son avoir dans l'immobilier. Maintenant que la bulle spéculative a éclaté, avec fracas, Dubaï doit se réinventer. En accéléré. Et devenir un tremplin vers le reste du Moyen-Orient, plutôt qu'une finalité en soi. La transformation est déjà amorcée.

Les hommes d'affaires se pressent sur la place centrale du Dubai International Financial Center, un vaste ensemble d'immeubles aux formes modernes et épurées. Dans les bureaux, les femmes voilées, talons hauts bien en évidence sous leurs habits traditionnels, ne lâchent jamais leurs téléphones cellulaires. L'avenir de Dubaï pourrait bien se trouver ici.

Le DIFC a été créé en 2004 pour attirer des entreprises de services financiers à Dubaï. Le nombre de sociétés présentes dans cette zone franche est passé de zéro à 766 en cinq petites années. Le succès est au rendez-vous, malgré la sévère crise qui frappe les finances de l'émirat. Car la plupart de ces firmes font surtout des affaires... ailleurs qu'à Dubaï.

«À partir d'ici, on est en Inde en deux heures et demie, et dans un rayon de quatre heures de vol, on a accès au tiers de la population mondiale», fait valoir Nasser Al Saidi, économiste en chef au DIFC, assis dans une salle de conférence vitrée offrant une vue fabuleuse sur les gratte-ciels environnants.

Dubaï n'est plus l'eldorado qu'elle était il y a tout juste 18 mois. L'éclatement de la bulle spéculative a fait des ravages. L'immobilier et la construction, les deux moteurs de l'économie pendant les années de boom, sont en lambeaux. Des dizaines de milliers d'expatriés ont quitté l'émirat l'an dernier, et des milliers d'autres devraient suivre en 2010.

Pour traverser la tempête, Dubaï doit se restructurer, se réinventer, à la vitesse grand V. Le potentiel est là. Avec ses infrastructures modernes, ses zones franches et son mode de vie à l'occidentale, la ville-état est en bonne posture pour devenir la principale place d'affaires du Moyen-Orient, estime Nasser Al Saidi. Un tremplin qui permettra aux entreprises étrangères de rayonner partout dans le Golfe Persique et le sous-continent indien — et d'y brasser de grosses affaires.

«Le DIFC dessert environ 42 pays, mais cette région n'avait jamais eu de centre financier pour la servir, dit M. Al Saidi. Son secteur bancaire est sous-développé. Pourtant, c'est une région très riche, avec des ressources naturelles énormes, qui exporte du capital.»

Selon les calculs du DIFC, les surplus nets des pays du Golfe atteindront 34 trillions de dollars US en 2030 si le baril de pétrole se maintient autour de 100$, et 18 trillions avec un baril à 50$. «Cela veut dire qu'il y aura toute une richesse à déployer, et de plus en plus, cette richesse sera investie dans la région», ajoute M. Al Saidi.

Qatar, Abou Dhabi, Bahreïn

Marie-Josée Primeau est bien à l'affût de toutes ces occasions d'affaires. La Montréalaise a tout laissé derrière il y a trois ans pour tenter de vendre ses systèmes de traitement des eaux usées dans la région. Et dès le départ, elle a choisi de diversifier son risque géographiquement, à l'extérieur de Dubaï. «Par chance», dit aujourd'hui la femme d'affaires de 41 ans, qui vit dans un coquet appartement du Palm Jumeirah, cette célèbre île en forme de palmier.

Quand La Presse l'a rencontrée au début janvier, Mme Primeau venait tout juste de signer l'un de ses premiers contrats... au Qatar. Elle lorgne aussi l'Inde, l'Arabie Saoudite, Abou Dhabi. «Dubaï m'a ouvert ses bras pour m'ouvrir sur le Moyen-Orient», résume celle qui est aussi présidente du Conseil des entreprises canadiennes aux Émirats arabes unis.

Dans le secteur de la construction, les sociétés qui ont permis à Dubaï de surgir du désert au cours de la dernière décennie regardent elles aussi ailleurs dans le Golfe. Les carnets de commandes se sont asséchés ici, et les retards de paiement s'accumulent. L'émirat voisin d'Abou Dhabi — qui possède 90% des réserves de pétrole du pays et un fonds souverain estimé entre 380 et 900 milliards US — constitue un pôle d'attraction majeur. Tout comme le Qatar, Bahreïn, Oman, l'Arabie Saoudite et la Libye, entre autres.

«Évidemment, on ne recherche plus vraiment de contrats sur Dubaï: on cherche sur Abou Dhabi, au Qatar, et on vient de mettre quelqu'un en Arabie Saoudite», dit Philippe Dessoy, directeur général du géant belge Besix Construction, qui a contribué à la construction de l'immense tour Burj Khalifa à Dubaï. L'homme a dû interrompre trois chantiers à Dubaï ces derniers mois, à défaut d'être payé.

Obstacles

Dubaï a plusieurs atouts pour devenir une place d'affaires solide à long terme, mais de nombreux obstacles se dressent encore sur sa route, fait valoir l'analyste Saud Masud, de la firme UBS. Le manque de transparence et les lois parfois floues, par exemple en cas de faillite, peuvent en décourager plusieurs de venir s'installer ici.

La transformation sera longue et pénible, malgré le soutien financier du voisin Abou Dhabi qui a allongé 20 milliards US pour payer une partie des dettes de Dubaï, ajoute M. Masud. L'émirat pourrait mettre 10 ans à restructurer son économie selon lui. «C'est très facile de repayer des détenteurs d'obligations: Abou Dhabi est venu à la rescousse et a fait un chèque. Le problème était réglé en une journée. Mais de réduire la dépendance de cette économie à l'immobilier? On parle de plusieurs années.»

L'immobilier et la construction comptent aujourd'hui pour environ 30% du PIB de Dubaï, évalué à 82 milliards US, selon les données d'UBS. Le commerce extérieur et la fabrication totalisent 17%, le tourisme, 13%, et les services financiers, 11%.

Dubaï compte certains géants aux assises solides, comme le transporteur aérien Emirates, l'aluminerie Dubal et la zone franche de Jebel Ali, où se trouve le gigantesque et très actif port de Dubaï. Le secteur du tourisme se porte aussi assez bien. Bref, tout ne s'est pas écroulé avec la crise, même si la déroute de l'immobilier fait encore très mal.

Le moral de plusieurs gens d'affaires — ceux qui sont encore là — est d'ailleurs assez bon en ce début de 2010. Richard Gorab, directeur de RBC Gestion de patrimoine à Dubaï, s'apprête à déménager sa petite équipe dans des bureaux plus grands tellement la croissance est au rendez-vous dans son entreprise. RBC a profité de la crise bancaire mondiale pour embaucher des talents de haut niveau l'an dernier à Dubaï, en provenance de Citibank et de HSBC, notamment. Les effectifs ont grimpé de six à 16 personnes.

«C'est un véritable succès d'avoir triplé notre personnel dans une des pires années de l'histoire des banques canadiennes», dit M. Gorab.

Même dans le secteur de la revente immobilière, affecté par une baisse des prix de 50% et la perspective d'un autre recul de 30% cette année, certains professionnels se montrent sereins face à 2010. Cette année servira à «s'ajuster aux nouveaux paramètres du marché», dit Linda Mahoney, ex-Montréalaise à la tête de l'agence Better Homes de Dubaï.

La femme d'affaires espère que le passage à une nouvelle décennie permettra de tourner la page pour de bon sur l'année 2009, désastreuse à bien des égards. L'inauguration du Burj Khalifa — plus haut gratte-ciel jamais construit — au début du mois est perçue par plusieurs comme un point tournant.

«Il y a une couverture favorable de la presse, un buzz, dit Mme Mahoney. Et dans tout marché, la perception psychologique et émotionnelle compte pour beaucoup. Le reste, c'est la réalité.»