Les 25 milliards US injectés par Abou Dhabi pour sauver son voisin Dubaï au cours des derniers mois avaient finalement un prix. La tour Burj Dubaï, inaugurée en grande pompe hier soir, a changé de nom à la surprise générale.

Le gratte-ciel de 828 mètres, de 1,5 milliard US, a été renommé Burj Khalifa, en l'honneur du leader d'Abou Dhabi et président des Émirats arabes unis, le cheik Khalifa ben Zayed ben Sultan Al Nahyan. Un lourd tribut symbolique, qui vise selon plusieurs observateurs à compenser - du moins en partie - toute l'aide financière apportée au projet.

Le cheik Mohammed ben Rashid Al Maktoum, leader de Dubaï, a annoncé le changement de nom sans émotion, pendant une cérémonie qui attiré plusieurs milliers de personnes au pied de ce géant de verre et d'acier. Peu après son allocution, un gigantesque feu d'artifice accompagné de fontaines d'eau a éclairé le ciel pendant une bonne quinzaine de minutes. Rien d'austère dans cette fête de plusieurs millions de dollars.

«C'est l'incarnation de tous les excès de Dubaï», a confié à La Presse un analyste spécialisé dans la région, qui a demandé à garder l'anonymat.

Il faut dire que l'ouverture de ce mastodonte de 160 étages était attendue de pied ferme à Dubaï, dont la déroute des derniers mois est presque aussi éclatante que ses succès des dernières années.

Au total, la construction de ce géant a duré six ans et requis 330 000 mètres cubes de béton, 103 000 mètres carrés de verre et 39 000 tonnes d'acier. La température varie de 8 degrés Celsius entre la base et le sommet de cette méga-structure, qui peut être aperçue à 95 kilomètres à la ronde par temps clair.

L'émirat, plus célèbre mais moins riche en pétrole que son voisin Abou Dhabi, a cumulé des dettes de plus de 100 milliards US par l'entremise de ses nombreux bras immobiliers.

L'éclatement de la bulle spéculative a fait des ravages ici. Les prix des habitations se sont effondrés de plus de 50% depuis le sommet de 2008. Et le pire est loin d'être passé selon plusieurs analystes, qui s'attendent à une autre baisse de 10% à 30% cette année.

Le président d'Emaar Properties, le promoteur de la Burj Khalifa, s'est néanmoins montré confiant dans l'avenir de Dubaï, hier. «Rappelez-vous que la crise a aussi frappé à New York, Londres, Los Angeles, Tokyo et Shanghai, a lancé Mohamed Alabbar pendant un point de presse. Les crises arrivent et disparaissent, et les villes vont de l'avant.»

Thomas Dempsey, directeur général de la Burj Khalifa, a de son côté affirmé à La Presse que l'immeuble n'était pas trop frappé par la crise. Environ 90% du projet - qui inclut 1044 appartements, des bureaux et un hôtel de luxe - a été vendu, a-t-il dit. «Seules quelques personnes ont choisi de rompre leur contrat.»

En période de pointe, quelque 12 000 travailleurs se sont affairés sur le chantier, originaires pour la plupart de l'Inde, du Pakistan et du Bangladesh.

Les piètres conditions de vie de plusieurs de ces ouvriers - sur le chantier de la Burj Dubai et ailleurs aux Émirats arabes unis - soulèvent l'indignation des groupes de défense des droits de l'homme depuis des années. Un sujet tabou pour le gouvernement.

La tour constitue le point central d'un nouveau quartier en développement, Downtown Burj Dubai, dont le coût total est estimé à 20 milliards US. Le secteur comprend des villas luxueuses, des canaux et le plus grand centre commercial du monde, le Dubai Mall.