Un article du quotidien The Independent assurant que les pays arabes du Golfe et quatre grandes puissances fomentaient l'abandon du dollar dans les échanges pétroliers a porté un coup, mardi, à la monnaie américaine, malgré les nombreux démentis des pays intéressés.

Le billet vert a été victime d'un accès de faiblesse, tombant à 1,4749$ pour un euro, non loin de son niveau le plus bas depuis un an. Une nouvelle chute «essentiellement liée à un article du quotidien britannique The Independent», affirme Adarsh Sinha, analyste chez Barclays Capital.

Les pays arabes du Golfe envisagent, avec la Chine, la Russie, le Japon et la France, de remplacer le dollar dans les échanges pétroliers par un panier de monnaies incluant le yen, le yuan chinois, l'euro, l'or et la future monnaie commune du Golfe, a assuré mardi The Independent.

Le quotidien rapporte que «des réunions secrètes ont déjà été tenues par des ministres des Finances et des gouverneurs de banques centrales en Russie, en Chine, au Japon et au Brésil».

L'information a aussitôt été démentie par plusieurs pays concernés, dont le Qatar, la Russie et le Koweït. «Nous n'avons jamais discuté ou proposé cela», a ainsi assuré à l'AFP le ministre koweïtien du pétrole, cheikh Ahmad.

D'autre part, le sujet n'est pas entièrement neuf: leitmotiv chez certains responsables de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), le sujet avait même été abordé officiellement fin 2007 lors d'un sommet ministériel à Ryad.

Il n'empêche: l'article est une nouvelle secousse portée au trône du dollar, déjà contesté dans son rôle de principale monnaie de réserve mondiale.

«Ce reportage ouvre un nouveau chapitre dans la conspiration contre le dollar comme monnaie de réserve dominante», écrit ainsi Jane Foley, économiste chez Forex.com.

Pour elle, «il n'y a pas de fumée sans feu», et «l'intérêt des Chinois pour les échanges commerciaux bilatéraux et pour des participations chez des producteurs d'énergie et de matières premières, montre clairement que la Chine a déjà avancé sur le chemin d'une diversification» de ses réserves, au détriment du dollar.

Dubitatif, Ullrich Leuchtmann, économiste chez Commerzbank, juge qu'une «histoire de cette nature fleure bon la théorie du complot et doit donc être lue avec précaution», mais il concède que l'article «colle très bien à l'esprit du temps», car «il est très en vogue de réclamer et prédire un "nouvel ordre financier"».

Plus sévère, Derek Halpenny, économiste chez Bank of Tokyo Mitsubishi juge l'article «absurde», sachant que les pays producteurs «détiennent des milliards de dollars en réserves et dans des fonds souverains».

Si les allégations du quotidien britannique se vérifiaient, leur impact serait colossal, jugent néanmoins les experts.

«Quelques pays émergents ont déjà entrepris des démarches bilatérales pour faire du commerce dans des devises locales, plutôt qu'en dollars. Mais instaurer une nouvelle unité de changes pour les marchés des matières premières serait beaucoup plus décisif», observe ainsi Adarsh Sinha, bien qu'il doute de l'imminence d'un tel bouleversement.

L'article confirme dans tous les cas la fragilité du dollar, miné par l'ampleur de la dette américaine. Le 23 septembre, il s'était affaissé à 1,4844$ pour un euro, son niveau le plus bas face à l'euro depuis un an.

Les voeux pieux en faveur d'un dollar fort, formulés samedi par des ministres des Finances du G7 à Istanbul, n'avaient fait que l'affaiblir.

Par contraste, le vainqueur de la journée est l'or, qui a touché mardi un record historique, comme pour donner raison à The Independent : l'article prédisait aussi que «la monnaie de transition (dans les échanges de pétrole) pourrait bien être l'or», en attendant l'abandon du dollar.