Les ténors du libéralisme économique à tout crin ont entraîné l'économie mondiale dans un gouffre. En revanche, le mérite du rétablissement des finances publiques dans nombre d'États revient en bonne partie à leurs mises en garde et à leur vigilance.

La restauration de la croissance exige d'ébranler cet héritage alors que le vieillissement de la population commence à peine à réclamer son tribut.

Les défis seront de taille pour tous les élus, mais chaque pays est marqué par ses singularités.

Ainsi, la perspective que la notation de la dette du Royaume-Uni soit révisée à la baisse par Standard&Poor's a relancé la semaine dernière le débat sur celle des États-Unis et affaibli le billet vert.

Si l'agence de notation confirmait sa menace, le royaume de Sa Gracieuse Majesté Élisabeth II serait le troisième membre du G7 à subir pareille humiliation après l'Italie et le Japon.

La probabilité reste faible cependant, à hauteur d'une chance sur trois, car l'agence croit encore possible le rétablissement de ses finances publiques.

Selon le Fonds monétaire international (FMI), les déficits de Londres cette année et en 2010 représentent 7,2% et 8,1% du PIB britannique. Ils devraient porter la dette à hauteur de 76,2% du PIB en 2014. Si ce devait être davantage, cela deviendrait incompatible avec une note AAA. En Italie et au Japon, la dette totale représente respectivement 109% et 210% du PIB, contre 62% pour celle du Canada.

Moody's, la rivale de S&P, n'a pas menacé le gouvernement de Gordon Brown de décote. Elle a plutôt choisi de sous-catégoriser en trois les pays dont la qualité de la dette est la meilleure. Dans la catégorie des résistants se retrouvent l'Allemagne, le Canada, la France et les pays scandinaves, à l'exception de l'Islande il va sans dire.

Les États-Unis et le Royaume-Uni appartiennent aux résilients tandis que l'Espagne et l'Irlande, toutes deux décotées par S&P, appartiennent aux vulnérables.

Cette distinction indique que la hauteur de la dette n'est pas un critère unique d'évaluation. D'ailleurs, quand on considère la dette nette, c'est-à-dire cette qui prend en compte la valeur des actifs des pays (voir tableau) on constate que la situation du Royaume-Uni n'est pas aussi dégradée que celle de l'Italie et du Japon, bien qu'elle ait beaucoup à envier à celle du Canada.

Selon la classification de S&P, seuls 15 pays ont droit à la note AAA qui permet à ses détenteurs d'emprunter à moindre coût. Les États-Unis se classent 14e à ce palmarès. «Il y a à peine un an, S&P suggérait que Fannie et Freddie pourraient faire perdre aux États-Unis sa médaille AAA s'ils devaient venir à leur rescousse», rappelle Douglas Porter, économiste en chef adjoint chez BMO marchés des capitaux. On sait depuis que les deux sociétés ont été mises en tutelle à grands frais et que la Réserve fédérale s'est engagée à acheter plus de 200 milliards de leurs obligations.

En fait, souligne l'économiste torontois, le gouvernement américain et la Réserve fédérale ont à ce jour engagé 12 800 milliards pour combattre la récession, soit plus de 90% de la taille de l'économie américaine (PIB nominal).

La FED n'étant pas un organisme d'État comme l'est par exemple la Banque du Canada, sa dette est difficilement assimilable à celle de Washington.

N'empêche. Les seules mesures de l'administration Obama porteront la dette américaine à hauteur de 90% du PIB l'an prochain, selon le FMI. Celles annoncées par les ministres des Finances canadiens porteront la nôtre aux environs de 65%.

Conséquence

La conséquence immédiate de la détérioration des finances publiques américaines, c'est le coût de leur financement et la perte d'attrait du billet vert.

«Pour les agences de notation de crédit, le cas des États-Unis représente un problème intéressant au cours de la prochaine année», écrivaient la semaine dernière Erik Nilsson et Mary Webb économistes chez Groupe Banque Scotia dans l'hebdo Capital Points.

Les Américains sont loin toutefois d'être les plus mal en point. Une étude récente du FMI fait des projections à l'horizon 2050 du coût relatif de la récession actuelle et du vieillissement de la population. Le Canada s'en sort le mieux parmi les pays avancés du G20 avec un coût de 1,9% du PIB contre 6,4% pour les États-Unis et 7,9% pour le Royaume-Uni.

Les Américains ont toutefois un immense avantage théorique sur les Britanniques, voire sur les Canadiens. L'État a recouru jusqu'ici beaucoup moins à son pouvoir de taxation: 33% du PIB, contre 38% pour le Canada et 40% pour le Royaume-Uni. «Contenir les pressions liées au vieillissement sera peut-être la clé pour apaiser les craintes de solvabilité fiscale au cours de la prochaine décennie, croit Stéfane Marion, économiste en chef à la Financière Banque Nationale. Comparée à celle de ses pairs, la situation des États-Unis ne paraît pas désespérée.»

Reste un défi de taille. Comment taxer davantage dans un pays où une bigoterie étrange associe impôts au viol de propriété ou à une entrave à la liberté? Pas facile non plus de diminuer les dépenses au moment où une réforme de la sécurité sociale devient d'autant plus pressante que les entreprises exigent des concessions à leurs travailleurs dans la couverture des soins de santé et des médicaments.

Dette nette des États en proportion du PIB nominal

Pays / 1995 / 2000 / 2008 / 2009* / 2010*

Canada / 70,7% / 46,2% / 22,3% / 23,9% / 24,8%

France / 37,5 / 35,1 / 36,2 / 39,5 / 42,4

Allemagne / 30,3 / 34,4 / 43,2 / 43,7 / 43,5

Italie / 99,0 / 95,6 / 87,2 / 88,8 / 90,1

Japon / 24,1 / 60,4 / 87,8 / 90,1 / 93,7

Royaume-Uni / 37,8 / 35,6 / 32,6 / 37,4 / 43,0

États-Unis / 53,8 / 36,0 / 46,2 / 52,6 / 57,8

Zone euro / 46,4 / 47,3 / 42,7 / 44,1 / 45,4

OCDE / 42,3 / 38,6 / 41,7 / 45,0 / 48,1

* Prévisions

Source: OCDE