En collaboration avec HEC Montréal, nous publions notre chronique hebdomadaire sur les défis auxquels font face les entreprises au plan de la gestion.

Deux scandales monumentaux ont marqué l'année 2008 dans le monde de la finance: «l'affaire Kerviel» en France et «l'affaire Madoff» aux États-Unis.

 

Dans le premier cas, un courtier de la Société Générale - Jérôme Kerviel - est soupçonné d'avoir pris des positions non autorisées par sa hiérarchie, représentant un total de 50 milliards d'euros. La fermeture de ces positions aurait coûté près de 5 milliards d'euros à cette grande banque française. Dans le second cas, c'est l'un des financiers les plus en vue de la planète qui est mis en cause: Bernard Madoff, président fondateur de l'une des plus importantes sociétés d'investissement de Wall Street.

Cet ancien dirigeant du NASDAQ est soupçonné quant à lui d'avoir mis en place un montage financier illégal - une «chaîne de Ponzi» - dont l'effondrement aurait causé la perte de 50 milliards de dollars.

Comment ces fraudes ont-elles été possibles?

Première hypothèse: les fraudeurs ont réussi à dissimuler parfaitement leurs activités illicites. Cette hypothèse ne tient pas. En réalité, dans l'un et l'autre cas, il semble que de nombreux signaux d'alarme aient retenti bien avant que le scandale n'éclate et qu'un terme ne soit mis aux activités de ces deux fraudeurs présumés.

Le plus flagrant de ces signaux était certainement les résultats extraordinaires, au sens strict du terme, que ces deux experts faisaient valoir, chacun dans son domaine.

Deuxième hypothèse: les indices de fraude étaient là, mais il manquait dans l'entourage de Kerviel et de Madoff des personnes capables de les détecter. Hypothèse intenable également.

Les victimes de ces affaires ne sont pas de petits investisseurs crédules et ignorants des choses de la finance. Kerviel travaillait dans l'une des salles de marchés les plus réputées au monde, dirigée par des cadres dont la compétence professionnelle est internationalement reconnue.

De son côté, «Bernie» Madoff comptait parmi ses clients de grandes et prestigieuses institutions financières telles que HSBC, UBP, Axa ou encore BNP-Paribas.

Collusion?

Troisième hypothèse: il y a eu en fait collusion, complicité, entre les fraudeurs présumés et ceux qui en ont été finalement les victimes - les supérieurs de Kerviel, d'une part, les clients de Madoff et les parties prenantes de sa société, d'autre part. Des enquêtes sont en cours sur ces deux affaires et il n'est pas possible pour le moment d'écarter définitivement cette hypothèse. Toutefois, les éléments d'information disponibles ne permettent pas non plus de la conforter.

Si, donc, l'entourage professionnel de Kerviel et de Madoff n'a manqué ni d'information, ni de compétences, ni d'honnêteté, comment se fait-il alors que ces escroqueries n'aient pas été découvertes et dénoncées avant qu'elles ne prennent l'ampleur que l'on sait?

Ce qui a fait défaut à ces professionnels, c'est de l'imagination. Telle est notre hypothèse, inspirée d'une recherche que nous avons menée sur une affaire similaire, survenue il y a bientôt 15 ans: la faillite de la banque Barings.

À l'instar du célèbre Nick Leeson, Kerviel et Madoff n'ont pu agir aussi librement, selon nous, que parce que leurs activités illicites étaient en fait inimaginables pour tous ceux qui travaillaient autour d'eux. C'est d'ailleurs presque en ces termes qu'un ancien directeur de la SEC s'explique aujourd'hui l'incapacité de cet organisme à découvrir la fraude commise par Madoff: «On ne trouve que ce qu'on cherche. Si personne à la SEC n'imaginait avoir affaire à une énorme fraude, ce n'est pas en épluchant des livres de compte fictifs qu'elle pouvait le comprendre» (Le Monde, 13 janvier 2009, p. 13).

Quelles leçons retirer de ces histoires? Que l'efficacité d'un contrôle ne dépend pas fondamentalement de l'information disponible concernant ce qui doit être contrôlé.

Cette efficacité est fonction essentiellement de l'imagination du contrôleur et en particulier de sa capacité à se méfier de ce qui est pour lui impensable. C'est de ce «point aveugle» que vient en effetle danger - pensons, dans un autre registre, aux attaques du 11 septembre 2001.

Réinventer le fou du roi

Mais comment imaginer l'inimaginable? Évidemment pas par introspection. Pour le dirigeant, une solution, suggérée par le sociologue Andreu Solé , consiste peut-être à réinventer la fonction du fou du roi.

Hautement risquée, cette fonction qu'il ne faut pas confondre avec celle du bouffon, consistait en fait à questionner sans cesse les évidences et les certitudes du monarque. Reste une question: quel dirigeant est prêt aujourd'hui à payer quelqu'un qui aurait pour mission de lui faire voir ses «points aveugles», c'est-à-dire de lui faire peur?

Les auteurs sont professeurs adjoints au Service de l'enseignement du

management à HEC Montréal.

 

LE CONSEIL DE LA SEMAINE

En période de ralentissement, il est important d'entretenir ses différents réseaux de contacts. Il faut trouver des façons de rester présent auprès de ses clients et de prendre connaissance de leurs nouveaux besoins.

Joanne Labrecque, professeure agrégée au service de l'enseignement du marketing à HEC Montréal.