Il faut resserrer la réglementation mondiale du secteur financier, mais il n'est pas question de remettre en cause le système capitaliste, ont affirmé jeudi plusieurs leaders politiques et d'affaires à l'occasion du 39e Forum économique mondial, qui se déroule à Davos, en Suisse.

La veille, dans la station alpine, les premiers ministres de Chine, Wen Jiabao, et de Russie, Vladimir Poutine, avaient indirectement blâmé le système capitaliste dominé par les États-Unis pour la crise financière qui met actuellement en péril l'économie mondiale.

Ils s'en sont notamment pris à l'hégémonie du dollar américain et, dans le cas de M. Wen, à un modèle de développement «caractérisé par une faible épargne prolongée, une forte consommation et une expansion excessive des institutions financières dans la recherche aveugle des profits».

«Le dollar tout-puissant a pris le dessus sur la moralité et l'éthique», a reconnu jeudi la présidente et chef de la direction du géant des boissons gazeuses PepsiCo, Indra Nooyi. «Il faut un retour du balancier.»

Tony Blair, ancien premier ministre du Royaume-Uni, a néanmoins voulu dédramatiser les choses.

«Le système financier a failli, mais pas le concept de la libre-entreprise», a-t-il déclaré devant une partie des 2500 participants au Forum.

«La pire chose qui pourrait arriver, c'est de remettre en question la notion de capitalisme», qui favorise l'innovation, a prévenu Mme Noori.

«Les principales victimes (d'un abandon du capitalisme) seraient les marchés émergents, les pays pauvres qui dépendent de l'investissement étranger», a martelé le président du conseil d'administration du groupe bancaire britannique HSBC, le plus important du monde.

Les dirigeants politiques et les chefs d'entreprise doivent cependant s'excuser pour le gâchis, a lancé le président et chef de la direction de l'assureur suisse Zurich, James Schiro.

«Nous n'avons pas respecté nos engagements et c'est nous qui sommes à l'origine de la situation», a-t-il constaté.

Après avoir préconisé pendant des années ce qu'on a surnommé le «consensus de Davos» - un libre marché dominant encadré par une réglementation limitée - les intervenants au Forum doivent cette année changer de discours. Le Forum doit aussi faire le deuil d'une thèse très en vogue l'an dernier: celle du «découplage», selon laquelle la récession américaine ne s'étendrait pas au reste du monde.

«Nous devrons sans conteste refondre l'environnement réglementaire pour les banques et les institutions financières, a convenu M. Green. Sans l'ombre d'un doute, nous devons tirer les leçons (de la crise actuelle) pour ce qui est des règles du marché.»

Le temps est venu, par exemple, d'adopter des pratiques «plus responsables» en matière de rémunération des chefs d'entreprise, a admis M. Green, qui a gagné trois millions de livres (5,2 millions $) en 2007.

Supervision supranationale?

Le hic, a relevé M. Blair, c'est que les autorités ont tendance à créer des règles pour s'attaquer aux problèmes du passé, et non pas pour prévenir la prochaine crise. Il faut désormais inclure l'ensemble des grandes économies du monde dans la recherche de solutions, et non seulement les pays du G8, a-t-il estimé.

«Une chose est claire: les systèmes de supervision nationaux n'ont pas fonctionné», a affirmé le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, qui prône un organe de réglementation continental, voire international.

«Aucun PDG de banque ne s'imaginait (en accordant des prêts à risque) qu'il contribuait à détruire l'économie et le concept de l'entreprise, a avancé Indra Nooyi. Quand il n'y a personne pour jeter un coup d'oeil par-dessus l'épaule, le capitalisme mène à une forme de cupidité.»

Il reste qu'aucune règle ne garantira que les dirigeants feront preuve du bon jugement essentiel à la survie à long terme des marchés financiers, a fait remarquer Stephen Green, qui, contrairement à la tradition, était l'un des rares banquiers présents à Davos cette année.

Selon la dirigeante de PepsiCo, il faut néanmoins faire un effort pour mieux payer les employés des gendarmes des marchés afin qu'ils puissent aller au devant des nouveaux produits financiers complexes. Elle a aussi déploré que la crise ait porté ombrage à l'ensemble du monde des affaires.

«Notre réputation a été entachée par les problèmes créés par (Wall Street), a-t-elle lâché. Je pense que c'est une véritable tragédie parce que nous sommes coupables par association.»

Nombreux sont les intervenants qui ont profité de leur passage à Davos pour mettre en garde contre un retour au protectionnisme. La menace n'est jamais loin: l'Union européenne a promis jeudi de protester contre des dispositions du plan de relance de 819 milliards $ de Barack Obama qui favorisent les aciéries américaines au détriment de celles du reste du monde.

Tony Blair a par ailleurs exprimé le souhait que la crise incite les gouvernements à investir dans les «énergies de l'avenir», de façon à atténuer la dépendance du monde envers le pétrole et ses prix volatils. Jeudi, le secrétaire-général de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole, Abdalla Salem El Badri, a soutenu qu'en deçà de 50 $ le baril, le prix de l'or noir était insuffisant pour permettre aux producteurs d'investir dans leurs installations.

Or, les investissements à long terme dans l'énergie et les infrastructures ne sont pas les plus rentables à court terme, a souligné l'ancien président américain Bill Clinton, qui a une fois de plus fait courir les foules à Davos.