Montréal vient de se doter d'un puissant outil pour contrôler le développement sur les terrains de la brasserie Molson, rue Notre-Dame Est.

La Ville s'est dotée, lundi dernier, d'un droit de préemption sur les lots de la brasserie. Ce droit permet à la Ville d'égaler une éventuelle offre d'achat acceptée sur les terrains convoités et d'acquérir elle-même au même prix les terrains en bordure du fleuve.

Molson est en train de construire une nouvelle usine dans l'arrondissement de Saint-Hubert, à Longueuil, sur la Rive-Sud. La vente des terrains montréalais se fait par le truchement du courtier Jones Lang LaSalle (JLL).

La décision de la Ville a surpris le brasseur, qui ouvre les soumissions d'achat pour ses terrains montréalais le 30 novembre.

« Le règlement de lundi nous prend par surprise, a commenté François Lefebvre, porte-parole de Molson Coors, à ce stade-ci du processus de vente. On aurait préféré arriver à une entente avec la Ville sur la densification et les autres éléments de zonage. Mais il n'y a pas eu d'entente. »

L'entreprise brassicole n'a pas l'intention de suspendre le processus de vente pour autant, assure M. Lefebvre.

« Nous sommes persuadés que notre appel d'offres attirera des acheteurs sophistiqués et motivés qui ne seront pas effrayés par un droit de préemption. Notre site constitue une opportunité unique à Montréal. » - François Lefebvre

Néanmoins, un promoteur, qui ne veut pas être identifié, a confié à La Presse qu'il envisageait de soumettre une offre d'achat sur les lots jusqu'à lundi dernier, mais qu'il y réfléchit à deux fois depuis.

DES ÉQUIPEMENTS COLLECTIFS

« Des consultations débuteront sous peu pour élaborer un PPU [plan particulier d'urbanisme] des Faubourgs, et nous sommes confiants que le projet de Molson sera cohérent avec notre vision pour le secteur », a fait savoir le cabinet de la mairesse Valérie Plante dans un courriel.

« Ce droit de préemption nous permettra de sécuriser des terrains pour implanter des infrastructures publiques telles que des parcs, des bibliothèques ou des centres sportifs. C'est ce qu'il manquait à la ville lorsque Griffintown s'est développé et c'est pourquoi nous nous sommes retrouvés avec un vaste secteur de la ville sans école et sans parc. »

L'opposition à l'hôtel de ville, qui a réclamé ce pouvoir quand elle était au pouvoir, a voté en faveur de la résolution, dit Alan DeSousa, maire de l'arrondissement de Saint-Laurent et conseiller de ville. Il dit attendre de voir quelle est la vision de développement de l'administration pour chacune des zones prioritaires ciblées. 

PRÈS DE 90 TERRAINS VISÉS

Ce droit de veto sur les terrains de la brasserie est passé inaperçu. Le nom de Molson ne figure nulle part dans le libellé de la résolution, ni dans les documents explicatifs. Ce sont seulement les numéros de lots qui y figurent. En fait, la Ville s'est donné un droit de préemption sur 86 propriétés réparties dans 9 zones prioritaires de Montréal.

La Ville justifie son geste dans le cadre d'une stratégie immobilière concertée en minimisant le recours à l'expropriation.

La Ville a emprunté 23,45 millions en juin 2017. Il reste 18,35 millions encore disponibles. Une somme insuffisante pour racheter les 86 lots, reconnaît sans détour la Ville dans son document décisionnel.

D'OÙ VIENT CE POUVOIR ?

Le droit de préemption est un nouveau pouvoir qui a été accordé par Québec à Montréal en vertu de son statut de métropole. Les propriétaires des lots visés par la résolution vont en être avertis par écrit au cours de l'hiver 2019. La Ville doit aussi publier un avis d'assujettissement au registre foncier. Le droit de préemption est valide pour 10 ans. Il s'agit d'un pouvoir répandu en Europe, particulièrement en France, explique Danielle Pilette, professeure au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l'UQAM.

GARDER LA PLUS-VALUE POUR LA VILLE

La professeure Pilette voit d'un très bon oeil l'adoption de la résolution. En agissant ainsi, la Ville se dote d'un outil efficace pour mieux contrôler le développement de son territoire. Par ce dispositif, la collectivité, avance-t-elle, se positionne pour profiter de la plus-value foncière qui résulte de l'accélération de la croissance économique de la métropole.

« Ça va permettre à la Ville de garder pour elle les plus-values en quelque sorte, dit-elle. La Ville devient propriétaire du terrain, elle définit le zonage selon ses priorités pour revendre ensuite le terrain à profit dans le cadre d'un appel de propositions. [En absence de droit de préemption], c'est comme s'il y avait un accaparement des investissements collectifs par certains promoteurs de tours de condos. »

Molson est en train de construire une nouvelle usine dans l'arrondissement de Saint-Hubert, à Longueuil, sur la Rive-Sud. La vente des terrains montréalais se fait par le truchement du courtier Jones Lang LaSalle (JLL).