La caisse de retraite PSP retire ses billes du quartier de la mode de Montréal, plus de 10 ans après y avoir investi 120 millions de dollars avec un partenaire. Retour sur une aventure aux résultats mitigés.

FAIBLE PLUS-VALUE

En février, l'Office d'investissement des régimes de pensions du secteur public, ou Investissements PSP, a vendu les trois dernières propriétés qu'il détenait dans le secteur, soit les 99, 333 et 433, Chabanel, à Howard Szalavetz Properties. L'acquéreur détient 1000 logements locatifs traditionnels et quatre résidences pour personnes âgées. Il possède aussi le 9600, rue Meilleur, dans le quartier de la mode.

PSP gère les contributions des fonctionnaires fédéraux, des membres de la Défense nationale et de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Son actif sous gestion s'élève à 117 milliards et son principal bureau d'affaires est à Montréal. Le gestionnaire d'actifs ne discute pas publiquement de ses transactions, nous a-t-on répondu.

Selon les actes de vente que nous avons consultés, les immeubles se sont revendus en deçà des prix payés en 2005, à l'exception du 333, Chabanel, revendu avec une plus-value de 20 %. En 2015, PSP avait aussi revendu le 225, Chabanel à son ancien partenaire Groupe Dayan pour plus du double du coût d'acquisition.

« Beaucoup d'entreprises regardent les produits "lofts" dans le Mile End et le Mile-Ex. Chabanel ? C'est toujours le même problème d'accessibilité. »

- Andrew Maravita, directeur général du bureau de l'agence immobilière Colliers à Montréal

Malgré la popularité des bureaux-lofts offerts à bas prix, ceux du quartier Chabanel sont boudés à cause de l'absence de stations de métro à proximité.

UN PARTENAIRE CONTROVERSÉ

PSP et son partenaire Georges Dayan, du Groupe Dayan, avaient acquis successivement sept immeubles pour plus de 120 millions en 2005. Ils contrôlaient 35 % du parc immobilier de Chabanel, estimé à 10 millions de pieds carrés. L'initiative avait causé la surprise, les caisses de retraite ayant l'habitude d'investir dans des propriétés de prestige au centre-ville, pas dans les zones industrielles en restructuration.

Le quartier, rendu exsangue avec la levée des quotas sur le textile étranger, affichait un taux d'inoccupation de 18 %.

L'équipe immobilière de PSP était alors dirigée par André Collin. Ce n'était pas la première fois que Georges Dayan et André Collin faisaient équipe. Au début des années 2000, quand M. Collin était à la division immobilière de la Caisse de dépôt et placement du Québec, M. Dayan et lui ont travaillé ensemble autour de la transformation de l'ancien immeuble de la Banque du Canada en hôtel de luxe, dans le Vieux-Montréal. M. Collin a quitté PSP en novembre 2007.

En 2007, le Vérificateur général du Québec avait conclu que la Caisse avait perdu entre 15 et 20 millions avec cet hôtel, alors que le Groupe Dayan avait fait un gain de 5 à 10 millions.

ESPOIR, PUIS DÉCEPTION

Quoi qu'il en soit, la venue d'un investisseur sophistiqué aux poches bien garnies avait suscité beaucoup d'espoirs en 2005. Une équipe du MBA pour cadres en immobilier de l'UQAM y a même consacré son mémoire de maîtrise à l'époque.

En 2007, Georges Dayan a mis en place un ambitieux plan de rénovation impliquant la conversion d'immeubles industriels tantôt en copropriétés résidentielles (au 125, rue Chabanel), tantôt en centre commercial à la verticale (au 99, Chabanel). Ce dernier projet n'a pas abouti.

La transformation du 125, Chabanel en condos a été achevée en 2013 avec l'aide de la Société d'habitation et de développement de Montréal (SHDM) qui a garanti 100 % de l'opération. Le président du conseil d'administration de la SHDM à l'époque, Jean-Claude Cyr, avait auparavant agi comme consultant pour le Groupe Dayan. M. Dayan n'a pas rappelé La Presse.

Autrement, les résultats sont décevants. 

« Le secteur n'a pas beaucoup évolué depuis 2005. Ses attraits sont limités. Quand on parle de Chabanel aux entreprises, il n'y a personne qui allume. Et si j'exagère, ce n'est pas de beaucoup. »

- Jean Laurin, vieux routier de l'immobilier commercial et président de Newmark Knight Frank Devencore

DES DÉPARTS QUI FONT MAL

Une succursale bancaire au 290, rue Chabanel fermera ses portes en avril prochain. « Il y a quelques départs actuellement, se désole Jean Perron, qui vient d'arriver au poste de directeur général de la SDC District central. Il y a même un Pharmaprix qui ferme sur Chabanel. Ces départs ne sont jamais une bonne nouvelle, même si c'est un présage de renouveau. »

Autre coup dur, l'un des premiers locataires externes au domaine de la mode établis dans Chabanel plie bagage. Les 350 employés de la Banque Laurentienne, qui occupaient un étage et demi au 555, Chabanel, quitteront les lieux à compter de 2018. « Le déménagement au 1360, boul. René-Lévesque Ouest a été accueilli de façon positive par les employés en raison de l'accessibilité de la nouvelle adresse autant par métro, autobus et train », indique Hélène Soulard, porte-parole de la banque.

APPUI DES POUVOIRS PUBLICS

La Ville a mis 18 millions dans l'embellissement du quartier. En 2008, l'arrondissement d'Ahuntsic-Cartierville, dans un geste critiqué, a déménagé sa mairie au 555, Chabanel. Deux gares de train ont été aménagées : Chabanel en 2006, sur la ligne de Saint-Jérôme, et Ahuntsic en 2014, sur la ligne de Mascouche. La société de développement économique (SDC) District central a vu le jour.

L'automne passé, trois projets ont été mis en branle, dont la création d'un centre de recherche sur les textiles intelligents en collaboration avec les deux ordres de gouvernement.

De plus, Montréal va regrouper d'ici 2022 des services municipaux dans un bâtiment neuf de 100 millions sur la rue de Louvain, au coin de De l'Esplanade, concentrant du coup 600 emplois. « Ça devrait servir de levier sur l'ensemble du secteur », garde espoir le président du comité exécutif de Montréal et conseiller de Saint-Sulpice, Pierre Desrochers. 

Il est le premier à reconnaître que la revitalisation de Chabanel demeure un défi.

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Le 99, rue Chabanel

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

La transformation du 125, rue Chabanel en condos a été achevée en 2013