Des rues commerciales où un local sur quatre est inoccupé. Des Montréalais forcés de se rendre en banlieue pour magasiner en raison de l'offre insuffisante dans l'île. Une métropole privée d'importants revenus par l'exode des commerces. « Montréal représente un désert commercial », conclut un rapport commandé par la métropole et obtenu par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

UN LOCAL SUR QUATRE EST VACANT SUR CERTAINES ARTÈRES

La métropole peine à répondre à la demande de mètres carrés d'espaces commerciaux et voit aussi les taux d'inoccupation augmenter sans cesse. Résultat : le 450 en profite. 

« Le commerce ne va pas bien à Montréal »

Confrontée à une grogne croissante des commerçants, la Ville de Montréal a mis sur pied le printemps dernier un groupe de travail afin de revoir leur taux de taxation. Pour alimenter les travaux, la métropole a commandé à la firme Demarcon un état de la situation commerciale dans l'île. Son rapport, remis en avril, mais jamais rendu public, avance que, globalement dans la province, « le commerce de détail va bien. Le Québec n'est pas dans un cycle de récession ». En témoigne le fait que les ventes au détail ont progressé en moyenne de 2,2 % par année depuis 10 ans. En fait, la seule ombre au tableau du commerce de détail de la province se trouve dans la métropole. « Le commerce ne va pas bien à Montréal », constate le rapport.

Déficit de commerces dans l'île

Demarcon note une anomalie importante dans son rapport : il manque de commerces dans l'île. La firme a comparé l'espace commercial disponible à la demande théorique en fonction de la population montréalaise. En somme, Montréal offre 3,2 millions de mètres carrés d'espaces commerciaux, alors que la demande est évaluée à 6,9 millions de mètres carrés. Les auteurs concluent ainsi à un « déficit de l'offre commerciale », puisque l'offre ne répond qu'à 47 % de la demande. « Montréal représente un désert commercial », écrivent les auteurs. Ce déficit existe alors que plusieurs croient pourtant qu'il y a trop de commerces dans l'île, notent les auteurs du rapport. La firme attribue ce phénomène au fait que « le commerce est permis à peu près partout dans la ville. C'est en réalité un étalement commercial prononcé ».

Haut taux d'inoccupation

Ce déficit commercial frappe durement les rues commerciales, où les taux d'inoccupation sont particulièrement élevés. Plus d'un local sur quatre est vide sur les Promenades Hochelaga-Maisonneuve, qui regroupent les commerces des rues Ontario et Sainte-Catherine, dans l'Est. Touchée par un important chantier pendant la majeure partie de 2016, la rue Saint-Denis a vu son taux d'inoccupation grimper à 23 %. « Cette variabilité des disponibilités reflète un certain malaise commercial », constate le rapport. Reste que quelques artères commerciales s'en tirent mieux, comme la rue Fleury et les Promenades Masson.

Taux d'inoccupation par secteur

• Promenades Hochelaga-Maisonneuve 27,5 %

• Pignon sur Saint-Denis 23,5 %

• Boulevard Saint-Laurent 14,8 %

• Quartier du Canal 14,8 %

• Plaza St-Hubert 13,2 %

• Promenades Masson 6 %

• Fleury Ouest 4,6 %

Hausse des loyers qui fait mal

Pour expliquer les difficultés du commerce de détail à Montréal, Demarcon souligne les difficultés vécues par les petits commerçants. La hausse des loyers observée dans la métropole, comme à beaucoup d'endroits ailleurs au Canada et aux États-Unis, est vue comme l'un des principaux facteurs. Ceux-ci ont été poussés à la hausse notamment en raison de la croissance des prix immobiliers ces dernières années. Cette pression coïncide avec une « recherche démesurée de rendement financier ». Enfin, les auteurs notent que les grandes chaînes « ont saturé les banlieues et retournent en ville ».

« Montréal enrichit les banlieues »

Le manque de commerces dans l'île pousse de nombreux Montréalais à magasiner en périphérie, contribuant par le fait même à l'exode commercial vers le 450, souligne Demarcon. « Le fait de ne pas satisfaire les besoins de la demande favorise systématiquement la sortie hors agglomération des citoyens vers les banlieues pour faire leurs achats. Montréal enrichit les banlieues au plan commercial », note le rapport. La croissance rapide de la valeur des immeubles commerciaux témoigne amplement du phénomène. Les commerces situés dans les couronnes nord et sud ont vu leur valeur augmenter en moyenne de 135 % depuis 10 ans. Pendant cette période, celle des commerces de Montréal a progressé d'à peine 47 %. C'est même moins que la moyenne québécoise, qui est de 69 %.

Intervention requise

La Ville doit intervenir pour rétablir la situation commerciale, tranche le rapport. « Laisser faire le privé a produit la situation commerciale qu'hérite Montréal actuellement : une sous-représentation de l'offre », peut-on lire. Cette absence fait mal à la métropole, puisqu'elle la prive « d'une somme importante de revenus fiscaux », ajoutent-ils. Rappelons que le Groupe de travail sur la fiscalité commerciale a finalement recommandé à la Ville de tarifer l'eau et les déchets afin de lui permettre de diversifier ses sources de revenus et ainsi donner un répit aux commerçants. Le maire Coderre s'était dit prêt à étudier la question. Reste à voir si le prochain budget que Montréal doit soumettre en novembre présentera de nouvelles mesures. La Ville s'est aussi engagée à ralentir la croissance des taxes pour les commerçants.

- Avec William Leclerc, La Presse

LES COMMERÇANTS APPORTENT DES NUANCES

Les difficultés que traversent les artères commerciales de Montréal sont indéniables depuis quelques années déjà. Les commerçants réclament un coup de pouce des autorités pour s'attaquer aux hausses de loyer « abusives » et au fardeau fiscal élevé. La situation est cependant moins dramatique que ne le laissent entendre les conclusions de l'étude de Demarcon, selon les porte-parole de deux importantes artères.

HOCHELAGA-MAISONNEUVE

Plus d'un local sur quatre est vacant sur les Promenades Hochelaga-Maisonneuve (rues Sainte-Catherine Est et Ontario), selon l'étude obtenue par La Presse. Pierre Lessard-Blais, président de la SDC Hochelaga-Maisonneuve, souligne que les deux artères affichent des profils très différents. « Ontario se porte bien et les loyers commerciaux à louer trouvent relativement bien preneur. Sainte-Catherine revient de plus loin et contribue à hausser le taux d'inoccupation. Toutefois, cette rue est de plus en plus prisée par les artisans qui souhaitent y ouvrir des ateliers-boutiques. » M. Lessard-Blais, qui est aussi copropriétaire de la microbrasserie L'Espace public, estime en outre que les enjeux d'étalement de l'offre commerciale ne posent pas de problème dans son secteur. « Lorsqu'un nouveau commerce propose une offre demandée par les gens du quartier, les gens du coin vont fortement l'appuyer. »

BOULEVARD SAINT-LAURENT

Tasha Morizio, directrice générale de la Société de développement du boulevard Saint-Laurent, juge très élevé le taux d'inoccupation de 14,8 % avancé dans l'étude. La plus récente analyse de son organisme démontrait plutôt un taux de locaux vides de 7 % le mois dernier sur Saint-Laurent, entre les rues Sherbrooke et Mont-Royal. « Selon les analyses que nous faisons, il est clair que les difficultés des artères commerciales centrales (taux d'inoccupation, roulement important, rentabilité faible, etc.) sont en partie causées par des conditions financières difficiles en ce qui a trait à l'occupation des locaux (loyers élevés et instables, fardeau fiscal immobilier reposant uniquement sur les locataires commerciaux, etc.). Cette situation découle selon nous d'un manque d'encadrement règlementaire et politique du marché locatif commercial. »

MESURES RÉCLAMÉES

Tant dans Hochelaga-Maisonneuve que sur le Plateau Mont-Royal, les commerçants dénoncent le manque d'encadrement et d'appui de la part des autorités, qui se traduit par un fardeau fiscal et des loyers élevés. « C'est probablement une des raisons qui poussent des entrepreneurs et commerçants à s'installer dans les quartiers excentrés, où ces conditions sont plus faciles, que sur les artères commerciales centrales, où les conditions sont plus difficiles », souligne Tasha Morizio. Pour sa part, Pierre Lessard-Blais s'inquiète de l'appui de la Ville de Montréal au projet Royalmount, un supercentre commercial proposé à Mont-Royal « qui représente plus de huit Centre Eaton en termes de pieds carrés commerciaux ». Il aimerait par ailleurs recevoir une aide pour limiter « les hausses de loyer abusives », à l'image des protections dont bénéficient les locataires de logements.

Photo Martin Tremblay, La Presse

Tant dans Hochelaga-Maisonneuve que sur le Plateau Mont-Royal, les commerçants dénoncent le manque d'encadrement et d'appui de la part des autorités, qui se traduit par un fardeau fiscal et des loyers élevés.