Les alentours du Centre Bell bourdonnent de chantiers depuis un an. Or, la Ville doit absolument faire passer de 120 à 210 mètres les hauteurs permises au sud de l'amphithéâtre, selon le promoteur Cadillac Fairview. À défaut de quoi ses capacités d'investir pourraient être « sérieusement affectées ».

UN PROMOTEUR MET DE LA PRESSION SUR LA VILLE

Le promoteur immobilier Cadillac Fairview (CF), qui prévoit un immense projet de 2 milliards autour du Centre Bell, demande à la Ville d'augmenter de 120 à 210 mètres les limites de hauteur permises, à défaut de quoi ses capacités d'investissement à court terme seront « sérieusement affectées ».L'arrondissement de Ville-Marie prévoit déjà rehausser la limite à 210 mètres sur une petite parcelle au sud de l'amphithéâtre, rue Saint-Antoine. Or, CF milite pour que la zone de 210 mètres soit étendue encore plus au sud, jusqu'à la rue Notre-Dame, et vers l'est, où le groupe souhaite ériger une série d'autres gratte-ciel.

« Nous sommes à planifier des investissements majeurs et il est important qu'on retrouve une flexibilité dans la planification de ces aménagements-là, sans les regarder sur une base très ponctuelle », a fait valoir Brian Fahey, président d'une firme d'urbanisme mandatée par CF, pendant une audience de l'Office de consultation publique de Montréal (OCPM) la semaine dernière.

L'OCPM étudie jusqu'à la fin du mois le nouveau programme particulier d'urbanisme (PPU) du Quartier des gares, qui prévoit une série de modifications aux alentours du Centre Bell. Ce plan prévoit notamment la construction de parcs, l'élargissement des trottoirs, ainsi que le rehaussement de la limite de hauteur à 210 mètres sur un petit terrain situé en bordure de la rue Saint-Antoine.

Il faut aller plus loin, a toutefois insisté Brian Fahey pendant sa présentation. Selon lui, le rehaussement de la limite de 210 mètres sur une si petite surface pourrait entraver les projets de CF au cours des prochaines années, d'où l'importance de l'élargir.

« C'est sûr qu'on va venir affecter de façon sérieuse la capacité de Cadillac Fairview à réagir à des opportunités d'investissement à court terme », dit Brian Fahey.

« Si la zone de 210 mètres est déjà là, Cadillac Fairview va avoir la capacité d'accueillir un locataire majeur qui pourrait se présenter à sa porte demain matin et avoir les outils pour répondre aux besoins de ces futurs locataires-là. »

Le maintien de la limite actuelle de 120 mètres amènera-t-il CF à « différer ses investissements » ? a demandé le président de l'OCPM. « À votre question, la réponse est oui, ça va affecter sérieusement les capacités de Cadillac Fairview », a affirmé M. Fahey.

Le plan d'ensemble de CF prévoit au moins six gratte-ciel autour du Centre Bell, des investissements totaux de 2 milliards étalés sur 15 ans. La Tour des Canadiens et la Tour Deloitte sont déjà en construction, tandis que la phase 2 de la Tour des Canadiens est en préparation. Le groupe prévoit en outre deux immeubles rue Peel - des bureaux et des logements -, dont le plus haut pourrait atteindre 180 mètres.

À titre de comparaison, Place Ville Marie mesure 188 mètres, tandis que le 1000 De La Gauchetière, le gratte-ciel le plus haut de la métropole, s'élève à 205 mètres.

PHASE 2 RETARDÉE

La présentation du PPU par la Ville, il y a deux mois, a amené Cadillac Fairview à revoir de façon importante la phase 2 de la Tour des Canadiens. Comme cette phase se retrouve sur la petite parcelle de surhauteur déjà prévue au PPU, le projet est passé de trois à deux tours, mais leur hauteur a été augmentée de 120 à 170 mètres, soit 47 étages.

Ces changements réglementaires - et les points d'interrogation qui subsistent - ont cependant entraîné des retards dans la mise en vente des condos de la phase 2, a expliqué l'architecte Olivier Legault, mandaté par CF, pendant les consultations de l'OCPM. « Ça fait partie de la difficulté et des maux de tête qu'on doit se taper, c'est clair. Parce que, oui, on a un échéancier de réalisation qui est déjà, disons, dépassé ou en retard. »

Le bureau des ventes pourrait ouvrir à l'automne, a indiqué l'architecte de la firme Béïque Legault Thuot. La construction de la nouvelle tour pourrait ensuite commencer au printemps ou à l'été 2016, selon la rapidité avec laquelle seront obtenues les approbations.

Dans son mémoire déposé à l'Office, CF plaide pour un autre élargissement de la zone de 210 mètres, vers l'ouest cette fois, jusqu'à la rue de la Montagne. Cette requête vise à « mieux intégrer » la phase 2 de la Tour des Canadiens à son contexte, « en conservant un modèle économiquement viable ».

Quoi qu'il en soit, le rehaussement de la limite de hauteur déjà proposé sur le site de la phase 2 de la Tour des Canadiens semble bien accepté par tous les intervenants. « C'est un tout, tout petit secteur : ça ne pose pas problème, ça n'a posé problème à personne jusqu'ici », a fait valoir Richard Bergeron, responsable de la stratégie du centre-ville au comité exécutif.

Ni Cadillac Fairview ni Canderel (aussi promoteur de la Tour des Canadiens) n'ont accepté les demandes d'entrevue de La Presse Affaires.

LE QUARTIER DES GARES

Après le Quartier des spectacles, Griffintown, le Quartier international et plusieurs autres secteurs du centre-ville, les environs du Centre Bell sont visés par un programme particulier d'urbanisme (PPU). Si tout se déroule comme prévu, le Quartier des gares sera doté d'une série de nouvelles infrastructures d'ici cinq ans, comme des parcs, des trottoirs élargis et des pistes cyclables. Voici les grandes lignes de ce chantier de 150 millions.

AU COEUR DE MONTRÉAL

Le Quartier des gares constitue encore aujourd'hui la véritable porte d'entrée du centre-ville de Montréal. Les trois gares qui s'y trouvent - Lucien-L'Allier, la gare Centrale et le terminus Centre-ville - accueillent chaque jour plus de 100 000 passagers. Ce qui retient surtout l'attention ces jours-ci, toutefois, c'est la frénésie immobilière qui s'est emparée du secteur. La valeur des projets immobiliers en construction dépasse les 750 millions de dollars, ce qui représente 2000 nouveaux logements et 50 000 m2 de bureaux. Entre 2006 et 2017, la densité de logements aura augmenté de 22 à 100 par hectare. Le potentiel d'investissement s'élève à plus de 3 milliards d'ici la prochaine décennie, selon la Ville.

DES CONTRAINTES MULTIPLES

« Pour l'instant, c'est la partie mal-aimée du centre-ville », reconnaît d'entrée de jeu Richard Bergeron, responsable de la stratégie du centre-ville au comité exécutif. Principal problème : le quartier est enclavé par de nombreuses infrastructures routières, comme l'autoroute Ville-Marie, des chemins de fer et une série de vieux sauts-de-mouton. La circulation de 1800 autobus par jour « excède la capacité physique du territoire », souligne aussi le document du PPU. On déplore par ailleurs une carence de commerces et de services de proximité, comme des écoles, ainsi qu'un nombre réduit de stationnements sur rue.

PARCS ET PISTES CYCLABLES

Le projet de requalification urbaine vise à créer plusieurs espaces verts dans ce secteur très bétonné. Le PPU prévoit ainsi la construction du parc Ville-Marie sur l'emprise déjà recouverte de l'autoroute Ville-Marie, au sud du Centre Bell. La superficie de ce nouveau parc (2,3 hectares) sera presque équivalente à celle du square Dorchester et de la place du Canada. Le square Chaboillez, situé près de l'ancien Planétarium Dow, sera en outre réaménagé, et des arbres seront plantés dans les rues. L'arrondissement de Ville-Marie souhaite également raccorder le quartier au réseau cyclable montréalais. On n'y trouve aujourd'hui aucune piste cyclable.

INVERSION DE LA CIRCULATION

Le PPU prévoit un retour de la circulation à deux voies dans la rue Saint-Antoine, entre Peel et de la Montagne. Cette mesure est essentielle à une meilleure fluidité dans le secteur, estime Richard Bergeron. Divers groupes, comme Ivanhoé Cambridge, propriétaire du 1000 De La Gauchetière, craignent à l'opposé que ce changement vienne amplifier les problèmes de congestion déjà criants. Par ailleurs, 14 intersections du quartier seront dotées de passages piétonniers améliorés.

MÉTRO... ET TRAIN LÉGER ?

L'accès à la station de métro Lucien-L'Allier - l'une des moins utilisées du réseau - sera amélioré, grâce à la construction d'un nouvel édicule, rue Saint-Antoine. Par ailleurs, la Ville mise gros sur la venue possible d'un système de train léger, qui serait construit et financé par la Caisse de dépôt entre le centre-ville et Brossard. Selon des scénarios évoqués, ce train pourrait remonter par les rues Peel ou Robert-Bourassa (University), et ainsi désengorger le quartier. Maxime Chagnon, porte-parole de la Caisse, a toutefois précisé cette semaine qu'il était beaucoup trop tôt pour dire si le train passera par le Quartier des gares... si jamais il se réalise. « On n'a pas encore la confirmation qu'on va le faire. Il n'y a aucun tracé, aucune solution technologique. »

150 MILLIONS

Le PPU proposé par la Ville sera doté d'un budget de 150 millions et devrait se réaliser d'ici cinq ans, a assuré Richard Bergeron. Pour parvenir à aller de l'avant avec toutes les mesures proposées, la municipalité devra toutefois s'entendre avec une très longue liste de partenaires, incluant la Société de transport de Montréal, la Caisse de dépôt, le CN, le CP, la CSDM, l'ETS et toute une série de propriétaires fonciers. L'Office de consultation publique de Montréal recueille jusqu'à la fin du mois l'opinion des Montréalais sur ce PPU, et il rendra son rapport à la fin de l'été. Le PPU devrait ultimement être adopté en décembre 2015.