Les prix de l'immobilier sont surévalués de 21 % au Canada et de 27 % au Québec, selon une nouvelle étude de Fitch. L'OCDE s'inquiète pour sa part de l'endettement record des ménages canadiens.

Moins d'une semaine après une nouvelle mise en garde du ministre des Finances, Jim Flaherty, deux études font état de la « surévaluation » des prix de l'immobilier au Canada et des risques bien réels d'une correction « désordonnée ».

Selon Fitch Ratings, les propriétés sont surévaluées de 21 % au Canada et de 27 % au Québec. « On a vu les prix augmenter beaucoup plus vite que l'économie en général, surtout depuis 10 ans », a résumé hier Stefan Hilts, analyste à l'agence new-yorkaise, pendant un entretien avec La Presse Affaires.

Le prix moyen des propriétés a atteint 391 820 $ en octobre au Canada, en progression de 8,5 % sur un an. Au Québec, il s'est établi à 273 436 $, ce qui représente un gain de 2,4 %. Ces prix ont plus que doublé depuis le début des années 2000.

Or, même si l'économie canadienne affiche en général une « assez bonne performance », ni la tenue de l'emploi ni la croissance de la population ne justifient une telle explosion des prix, précise M. Hilts. La « déconnexion » avec la valeur de revente des maisons atteint ainsi un niveau jamais vu.

Fitch Ratings envisage diverses trajectoires pour le marché canadien. La plus pessimiste prévoit une baisse des prix jusqu'à 10 %. Le marché du Québec ne devrait pas subir une correction pire que la moyenne canadienne, même si son marché y est plus surévalué que dans toutes les autres provinces, ajoute Stefan Hilts.

Si le scénario de « l'atterrissage en douceur » mis de l'avant par Fitch se concrétise, les prix demeureraient à peu près stables ou reculeraient de quelques points sur une période de plusieurs années. En tenant compte de la hausse des salaires pendant cette période, la surévaluation du marché diminuerait d'année en année.

Risques pour l'économie

Pour l'heure, le taux d'endettement record des Canadiens suscite des inquiétudes bien réelles. Dans un rapport dévoilé hier, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avertit du risque d'une « correction désordonnée du marché du logement, dans un contexte d'endettement élevé des ménages ».

« Cette correction pèserait sur la consommation et sur la construction résidentielle et, dans un cas extrême, pourrait menacer la stabilité financière », explique l'OCDE.

Fitch souligne, de son côté, qu'une baisse trop abrupte du marché immobilier pourrait avoir un effet en cascade sur toute l'économie canadienne. Depuis 2000, la part du produit intérieur brut provenant du secteur de la construction est passée de 5,2 % à 7,1 %, ce qui rend ce secteur plus vulnérable.

Des milliers d'emplois pourraient disparaître dans le secteur immobilier, advenant un recul de l'activité, même modéré. « Qu'est-ce qui va remplacer ces emplois ? La question reste sans réponse », a souligné l'analyste financier Ben Rabidoux, joint hier à Toronto.

Dans ce contexte, le ministre fédéral des Finances a évoqué la semaine dernière la possibilité de resserrer encore une fois les règles entourant le prêt hypothécaire. « Je suis intervenu quatre fois ces dernières années et j'interviendrai une cinquième fois si c'est nécessaire. »

Ces commentaires ont suscité une vague d'inquiétude au pays. Car si le marché immobilier demeure actif à Toronto et à Vancouver, notamment, il a déjà ralenti de façon considérable au Québec, en particulier à Montréal.

Avant-hier, le ministre québécois des Finances et de l'Économie, Nicolas Marceau, a exhorté M. Flaherty à ne pas adopter de mesures pancanadiennes qui pourraient pénaliser le Québec. Il a rappelé que l'industrie de la construction compte pour 7 % du PIB de la province.

La Chambre immobilière du Grand Montréal a fait une sortie similaire peu après. « De nouveaux resserrements ne seraient pas souhaitables, ni pour les acheteurs, ni pour les vendeurs, ni pour l'économie du Québec », a fait valoir son président, Patrick Juanéda.

Jim Murphy, président de l'Association canadienne des conseillers hypothécaires accrédités (ACCHA), s'oppose lui aussi à une cinquième ronde de resserrement hypothécaire, qui nuirait à son industrie. « Je pense que le gouvernement en a fait assez », a-t-il dit hier à La Presse Affaires.

-------------------

Des taux d'intérêt au plancher

Les Canadiens n'ont jamais eu accès à des hypothèques aussi bon marché. Selon un rapport dévoilé hier par l'Association canadienne des conseillers hypothécaires accrédités, le taux d'intérêt moyen des propriétaires s'est élevé à 3,50 %, contre 3,52 % au printemps dernier. Les propriétaires bénéficient aussi d'un escompte important entre les taux affichés par les banques et les taux réels. L'escompte sur un taux fixe de 5 ans s'est élevé à 2,13 points, soit l'écart entre le taux affiché (5,21 %) et l'hypothèque moyenne, selon le sondage.

------------------

Bulle ou pas?

Stefan Hilts, analyste chez Fitch Ratings, refuse de dire que le marché canadien est dans une bulle. «La connotation d'une bulle, c'est qu'elle doit éclater, a-t-il avancé hier. Et ce n'est pas ce qu'on voit ici. On dit que la croissance a été un peu trop abrupte pendant un peu trop longtemps, mais on ne croit pas que les prix sont au bord du précipice ou qu'il s'agisse d'un scénario catastrophe. » En entrevue récemment à La Presse Affaires, le Prix Nobel d'économie et spécialiste de l'immobilier, Robert Shiller avait de son côté indiqué que plusieurs éléments du marché canadien « font penser à une bulle». Il a dit s'attendre à des baisses de prix.