Moins d'un mois après avoir sollicité des offres pour acheter les anciens magasins des Soeurs Grises dans le Vieux-Montréal, son propriétaire, la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL), vient de suspendre le processus d'appel d'offres public. Elle donne 90 jours à son locataire principal, la Maison Jean Lapointe, pour déposer une offre d'achat.

Des investisseurs privés intéressés par l'achat de l'immeuble de 137 ans ont communiqué avec La Presse Affaires pour exprimer leur déception face à cette décision unilatérale de la société de la Couronne. Ils croient que le gouvernement fédéral perdra de l'argent en agissant ainsi.

« J'ai des clients intéressés par cet achat et qui s'apprêtent à déposer une offre. Je gagne ma vie de cette façon, je suis intermédiaire dans l'achat et la vente d'immeuble contre rétribution... de façon tout à fait cavalière et sans préavis, le processus de vente est gelé pour 90 jours », déplore le courtier Thierry Gosseau, de l'agence Re/Max Immobilia. Ce courtier se spécialise dans les transactions d'immeubles à logements dans le Vieux-Montréal.

« Ça sent la magouille, dit un autre investisseur qui suit de près le dossier, mais qui ne veut pas être nommé. Ça n'a pas de bon sens, tu ne peux pas mettre une bâtisse en soumission, puis négocier en parallèle avec un locataire et ensuite faire savoir que la maison est retirée du marché.

« Pour quelqu'un qui n'était pas capable de payer le loyer, poursuit l'investisseur déçu, la Maison Jean Lapointe va faire une offre de 8 millions ? Est-ce que c'est le gouvernement qui va subventionner l'achat ? », demande-t-il.

La Maison Jean Lapointe loge dans l'immeuble du Vieux-Montréal depuis 30 ans en payant un loyer de faveur de 1$ par mois. À la surprise de ce locataire dont le bail avantageux se termine en juillet 2017, la SCHL a mis en vente l'immeuble à la mi-septembre. Dans sa demande de propositions pour la propriété (DPP), la société du gouvernement fédéral exige un minimum de 8 millions, ferme.

Dans les derniers mois, un problème de voisinage entre la Maison Jean Lapointe, qui a pour mandat de soigner les alcooliques, et le restaurant L'Atelier d'Argentine, qui demandait un permis d'alcool pour sa terrasse au rez-de-chaussée des Cours Saint-Pierre, a soulevé la question de la pertinence de l'actuelle localisation de la Maison Jean Lapointe, au coeur d'un quartier touristique où les bars et les restos licenciés abondent.

Silence radio à la Maison Jean Lapointe

Rodrigue Paré, directeur général du centre de thérapie qui exprimait dans nos pages le 1er octobre sa crainte de ne pas avoir les moyens financiers de se reloger ailleurs, a refusé de parler cette fois-ci à La Presse Affaires. On ne sait donc pas comment la Maison s'y prendra pour financer l'achat. La Maison a dirigé nos questions à la SCHL.

Cette dernière a confirmé la suspension du processus de vente pendant 90 jours. « Peu après que la DPP ait été émise, la Maison Jean Lapointe a soumis à la SCHL sa manifestation d'intérêt d'acheter la propriété. Étant donné le rôle social que joue la Maison Jean Lapointe et les avantages qu'elle offre à la collectivité, la SCHL prend en considération son intérêt d'acheter l'immeuble », écrit Charles Sauriol, porte-parole de la SCHL, à Ottawa. « La SCHL doit vendre la propriété à la valeur marchande », ajoute-t-il, sans chiffrer cette valeur marchande.

Dans le prochain rôle d'évaluation, qui entre en vigueur le 1er janvier prochain, la Ville de Montréal donne à l'immeuble de 45 logements locatifs et de 10 locaux commerciaux une valeur de 2,5 millions.

Selon le courtier Gosseau, les immeubles de ce genre dans le Vieux-Montréal, pour lesquels les locataires paient le loyer marchand - ce qui n'est pas le cas avec le Cours Saint-Pierre où les loyers tant résidentiels que commerciaux sont pratiquement tous sous le marché -, se vendent à un prix d'environ 275 $ du pied carré. Ce qui donne une valeur potentielle de 19,25 millions aux Cours Saint-Pierre. Le manque à gagner pour les contribuables canadiens serait considérable.