Meka Brunel s'en souvient comme si c'était hier. Il y a cinq ans, alors qu'elle venait de grossir les rangs de la SITQ, filiale immobilière de la Caisse de dépôt et placement du Québec, le groupe a réussi «le coup de l'année» à Paris. L'organisme a loué la totalité des 37 étages de son nouveau gratte-ciel à GDF Suez, l'un des locataires les plus prestigieux de France.

À la cérémonie d'inauguration, le président d'honneur a souligné l'apport de tous les partenaires qui ont participé à la transaction... sauf la SITQ, pourtant propriétaire! «À la fin du discours, je lui ai dit: «Vous avez remercié tout le monde sauf nous.» Il m'a dit: «Je ne savais même pas que vous existiez»», rappelle avec le sourire Meka Brunel, dirigeante européenne d'Ivanhoé Cambridge, qui a absorbé la SITQ en 2011.

Les choses ont bien changé depuis. En bonne partie parce qu'Ivanhoé Cambridge, justement, parle d'une seule et même voix en Europe depuis sa fusion avec la SITQ.

«Avant, nous intervenions partout en Europe sous différentes bannières, souligne Mme Brunel en entrevue à La Presse. Parfois, nous avions un discours différencié, et la multiplicité des interlocuteurs nous desservait.»

Le langage de l'argent

Si la filiale immobilière de la Caisse a maintenant une identité mieux définie, elle parle surtout un langage que tous comprennent, qu'on soit à Londres ou à Paris. Celui de l'argent, en général bien investi. Des milliards en liquidités.

Ivanhoé s'est montrée particulièrement active au cours de la dernière année dans la capitale française. Acquisition au rabais du siège social de PSA Peugeot Citröen, vente à fort profit du siège social de Vivendi, lancement d'un mégaprojet de tours de bureaux de 800 millions de dollars: l'organisme semble sur une lancée à Paris.

«La notoriété va avec l'action qu'on mène, tranche Meka Brunel. Ce n'est pas une notoriété de façade et de pacotille.»

Comme le révélait La Presse en exclusivité en janvier dernier, Ivanhoé Cambridge a décidé de revoir de fond en comble sa stratégie européenne. Le groupe entend se départir de la plupart de ses actifs en Espagne, en Allemagne et dans quelques autres pays, pour concentrer toutes ses billes sur les deux marchés phares du continent: Paris et Londres.

La filiale de la Caisse est devenue une interlocutrice de premier plan dans le marché des bureaux de ces deux mégalopoles. Contrairement à d'autres caisses de retraite, Ivanhoé n'a toutefois pas de cible précise pour chaque marché, explique Meka Brunel, rencontrée dans les bureaux du groupe, situés en face du célèbre Hôtel George V, dans le 8e arrondissement.

«D'une manière générale, nos investissements ne sont pas faits parce que nous avons absolument besoin de dépenser de l'argent, mais parce que nous cherchons le meilleur rapport rendement-risque afin de placer au mieux l'argent de nos déposants», avance-t-elle.

Profiter de la crise

Dans le contexte actuel de crise économique en Europe, Ivanhoé se positionne comme un investisseur de plus en plus «opportuniste». L'achat récent du siège social de PSA - une société elle-même en difficultés financières - dans le chic 16e arrondissement constitue un exemple probant.

«Nous l'avons acheté de l'ordre de 7000 euros du mètre carré, alors que le marché de Paris dans ce secteur-là est plutôt de l'ordre de 15 000 à 17 000 euros, dit Mme Brunel. Nous n'achetons pas des actifs à maturité, core, à des prix core, parce ce que ce n'est pas la nature de notre entreprise.»

La même logique s'est appliquée lors de la vente du prestigieux siège social de Vivendi il y a quelques semaines.

«On ne divulgue pas les détails [de la transaction], mais vous pouvez vous imaginer qu'un immeuble acheté en 1997 alors que l'Europe et le monde étaient en crise et vendu en 2013 au top du top du marché, c'est un rendement global tout à fait appréciable», dit fièrement la vice-présidente directrice d'Ivanhoé pour l'Europe.

Est-ce que le marché parisien des bureaux tiendra le coup? Une étude récente de la firme immobilière Cushman&Wakefield montre que la demande a reculé de 17% sur un an au premier trimestre de 2013, et de 25% par rapport à la moyenne des 10 dernières années. Et cette tendance ne semble pas vouloir s'améliorer en raison de «l'explosion» du chômage et de la «croissance nulle» en France, note le document.

Meka Brunel ne semble pas trop s'en inquiéter. Elle cite en exemple le bail de location de 10 ans qu'Ivanhoé vient tout juste de signer avec un cabinet d'avocats prestigieux dans l'un de ses gratte-ciel du quartier de la Défense. «Les choses ne sont pas blanches ou noires, il y a encore de la demande.»

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«Duo», un mégaprojet

Il s'agira des plus hauts immeubles construits dans le Paris intra-muros depuis la controversée Tour Montparnasse en 1976. Le projet «Duo» d'Ivanhoé Cambridge risque de changer la face de tout un quartier s'il va de l'avant comme prévu.

La filiale immobilière de la Caisse de dépôt a remporté l'an dernier le mandat de remettre en valeur de vastes terrains dans le 13e arrondissement de Paris, en collaboration avec le promoteur américain Hines et l'architecte Jean Nouvel. Le projet oscille entre 600 et 700 millions d'euros (de 800 à 935 millions CAN).

Ivanhoé a voulu se démarquer avec un projet flamboyant, qui prévoit l'érection de deux tours asymétriques de 115 et 175 mètres. Les immeubles comprendront près de 1 million de pieds carrés de bureaux ainsi qu'un petit hôtel de 150 chambres.

«Si on faisait une tour Montparnasse bis, une tour banale comme il y en a partout, ça n'aurait pas été intéressant, explique Meka Brunel, dirigeante européenne du groupe québécois. Il faut que ça devienne une adresse, c'est pour ça qu'on a choisi très tôt un nom pour cet immeuble-là, pour que les locataires disent: à Paris, mes bureaux sont dans Duo.»

La demande officielle de permis sera déposée en février 2014 et devrait mettre un an à être traitée. La précommercialisation commencera ensuite, souligne Mme Brunel. «Si nous n'atteignons pas 50%, nous pouvons nous retirer.»

Même si le projet en est encore à un stade assez préliminaire, Ivanhoé Cambridge affirme avoir reçu des marques d'intérêt de 10 gros locataires potentiels.

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RÉPARTITION DES 32 MILLIARDS D'INVESTISSEMENTS D'IVANHOÉ CAMBRIDGE

16,6% Québec

12,1% Colombie-Britannique

11,1% Ontario

9,0% Prairies et provinces de l'Atlantique

24,1% États-Unis

20,4% Europe de l'Ouest

5,8% Marchés en croissance

0,9% Asie développée

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Un portefeuille parisien en plein mouvement

Tour T1


La Tour T1, au coeur du quartier de la Défense, est l'un des joyaux d'Ivanhoé Cambridge à Paris. Le gratte-ciel incurvé de 37 étages a été choisi par GDF Suez pour y installer son siège social. L'immeuble futuriste compte quatre étages consacrés à la haute technologie, où GDF, un géant de l'énergie, fait ses échanges électroniques de plusieurs milliards de dollars. Superficie totale: 720 000 pi2.

Adresse

1, place Samuel Champlain,

Paris, France

Immeuble B

Il s'agit du petit voisin de la Tour T1. La tour de 11 étages totalise 222 000 pi2et encercle une belle place.

Adresse

2, place Samuel Champlain, Paris, France

Tour Pacific

Il s'agit d'un autre immeuble phare du quartier de la Défense. Le gratte-ciel, percé d'une ouverture rectangulaire, est occupé en bonne partie par la Société Générale. Ivanhoé Cambridge, qui détient 42% de la tour de 25 étages, tente ces jours-ci de la vendre. Selon plusieurs médias français, elle serait sur le point d'être vendue à la société américaine Tishman Speyer pour environ 290 millions de dollars.

Adresse

11, cours Valmy, Paris, France

Tour Prisma

Ce gratte-ciel longiligne de 22 étages est situé boulevard Circulaire du quartier de la Défense, un emplacement de choix. Ivanhoé Cambridge, qui en détient 42%, vient de signer un bail à long terme avec le cabinet d'avocats FIDAL pour une durée de 10 ans. Le groupe occupera 146 700 des 247 900 pi2 de la tour entièrement rénovée.

Adresse

8, rue d'Alsace, Paris, France

Immeuble PSA

Ivanhoé a récemment marqué un grand coup en achetant le siège social du Groupe PSA Peugeot Citroën, à quelques centaines de mètres de l'Arc de triomphe, dans le chic 16e arrondissement. Le groupe québécois a payé 350 millions de dollars pour l'immeuble de 362 000 pi2, qui fait l'objet d'un bail pour encore six ans avec PSA. Toutes les options sont ouvertes une fois que le bail arrivera à échéance: rénover de fond en comble, ou encore détruire et rebâtir un immeuble de luxe.

Adresse

75, avenue de la Grande-Armée, Paris, France

RÉCEMMENT VENDUS

Quatre hôtels parisiens

Ivanhoé Cambridge poursuit activement son programme de «disposition d'actifs non stratégiques» partout en Europe, incluant Paris. Le groupe vient ainsi de vendre quatre hôtels situés dans le quartier des affaires à un consortium comprenant Morgan Stanley Real Estate. Les établissements totalisent 626 chambres.

Siège social Vivendi

Le groupe québécois vient tout juste de se défaire du siège social de Vivendi, dans le 8e arrondissement de Paris. L'immeuble de 113 000 pi2 est l'un des premiers que la filiale de la Caisse de dépôt a acquis en France dans les années 90 et l'actif était, semble-t-il, arrivé «à maturité». Il a été cédé à la société française Assurances du Crédit Mutuel.

Adresse

42, avenue de Friedland, Paris, France