Le marché des résidences secondaires est en pleine mutation au Québec. Les ventes augmentent ici, les prix baissent là... et les délais s'allongent partout.

Teintes brunes et jaunes, odeur de renfermé, vue sur les pentes de ski : le chalet mis en vente par Gilles Léonard, au pied du Mont Habitant, a tout de la bicoque de week-end classique des Laurentides.

Le courtier de Sutton a mis en marché cette propriété - une succession - il y a plus de deux mois. Il a eu quelques visites, mais aucune offre sérieuse jusqu'à maintenant pour la maisonnette offerte à 169 000 $. « Il y a plus de vendeurs que d'acheteurs », résume-t-il.

Dans les Laurentides comme dans toutes les régions qui entourent Montréal, le marché des résidences secondaires s'est transformé depuis le début de 2012. Le nombre de transactions a augmenté dans plusieurs secteurs, les prix ont reculé dans quelques régions. Et partout, les délais de vente se sont allongés.

Les gens prennent leur temps pour magasiner, en somme. Beaucoup de temps.

« Les acheteurs ont plus de choix, souligne Gilles Léonard. Avant, je pouvais facilement dire : ça va prendre entre 3 et 6 mois vendre votre propriété. Maintenant, c'est plus long. Pour les maisons les plus chères, ça peut prendre un an, un an et demi. »

Comme il n'existe aucune statistique précise sur le marché des résidences secondaires, la Fédération des chambres immobilières du Québec (FCIQ) a croisé certaines données à la demande de La Presse Affaires. L'organisme a colligé toutes les transactions touchant les propriétés bordées par l'eau, ou bénéficiant d'un accès à l'eau. Certaines sont des résidences principales, mais l'exercice donne un portrait assez juste de la situation.

Signaux contradictoires

Des cinq régions de villégiature qui entourent Montréal, les Laurentides demeurent, et de loin, la destination week-end la plus populaire. Après avoir baissé en 2011, les ventes ont redécollé pendant les 10 premiers mois de 2012. Elles ont monté de 7 % pour les unifamiliales et de 22 % pour les condos au bord de l'eau!

Les prix sont en hausse de 5 % à 8 % dans les Laurentides, mais les délais de vente sont assez longs. Il faut en moyenne 143 jours pour vendre une maison bordée par l'eau, et 230 jours pour une copropriété. Certains secteurs, comme Saint-Sauveur, s'en tirent mieux, alors que Tremblant affiche des reculs marqués (voir encadré).

L'Estrie, une autre destination prisée des Montréalais, affiche un portrait plus mitigé. Les ventes de maisons au bord de l'eau ont monté de 5 % depuis le début de l'année, mais leur prix médian a glissé de 6 %, à 206 000 $.

La dichotomie est encore plus flagrante pour les copropriétés riveraines des Cantons-de-l'Est. Le nombre de transactions a bondi de 58 % pendant les 10 premiers mois de 2012... mais le prix médian a fléchi de 14 % sur un an, à 126 500 $.

Négo, négo et négo

Julie et son conjoint ont cherché pendant plus d'un an en Estrie avant de finalement dénicher la maison de week-end de leur rêve en octobre dernier. La comptable, qui occupe un poste de haut niveau et préfère ne pas divulguer son nom de famille, bénéficiait d'un budget de 400 000 $.

« On a remarqué que les maisons ne se vendent vraiment pas vite, et on a vu aussi que la plupart des vendeurs révisent leur prix à la baisse plusieurs fois, car on a suivi de près plusieurs maisons sur le système MLS pendant un an », raconte Julie.

Après de longues recherches, le couple de Montréalais a fait une offre sur une belle résidence affichée à 430 000 $ dans les montagnes de Bromont. « On a offert 380 000 $ dans le but de payer 390 000 $, raconte Julie. Mais pendant le processus de vente, la maison a été déclarée reprise de finance, donc on a réussi à faire baisser le prix à 345 000 $. À 430 000 $, elle était vraiment surévaluée. »

Le moment est meilleur qu'il ne l'a été depuis longtemps pour négocier un prix de vente avantageux, confirme Gaston Légaré, président de la Chambre immobilière des Laurentides et fondateur de l'agence Mon patrimoine immobilier.

« Tout est négociable dans la vie, dit M. Légaré. Le vendeur a beau demander ce qu'il veut, ça ne veut pas dire que c'est le prix qu'il va avoir. Surtout aujourd'hui, alors qu'on entre dans un marché acheteur. »

Le courtier souligne qu'il y a « beaucoup plus de propriétés à vendre qu'il y a d'acheteurs », une situation qui ouvre toute grande la porte aux négociations. « Mais ce n'est pas la misère noire non plus... on n'est pas aux États-Unis! »

Les courtiers ont la tâche bien moins facile qu'il y a quelques années, dit pour sa part Gilles Léonard, de Sutton, pendant la visite du petit chalet de Saint-Sauveur. « Nous, les courtiers, on a changé notre façon de faire. Avant, on était comme des concierges, on ouvrait la porte et si la personne qui visitait n'achetait pas, la suivante allait acheter. Maintenant, il faut afficher à un prix beaucoup plus réaliste. Si ça vaut 200 000 $, tu ne peux pas l'afficher à 250 000 $. »

Pas si mal

Malgré des délais de vente plus longs que l'an dernier, le segment des résidences secondaires semble mieux se porter que le marché immobilier en général dans la plupart des régions du Québec, indique la FCIQ. Dans Lanaudière, par exemple, les ventes de maisons au bord de l'eau ont grimpé de 16 % pendant les 10 premiers mois de 2012, contre 6 % pour l'ensemble des unifamiliales.

Paul Cardinal, directeur de l'analyse de marché à la FCIQ, souligne que les acheteurs de résidences secondaires ont généralement les reins plus solides que ceux qui acquièrent un premier condo, par exemple. « Ce sont des acheteurs expérimentés, et non pas des accédants à la propriété. Ce ne sont pas eux qui sont frappés par le resserrement des règles sur le prêt hypothécaire, qui fait en sorte que les ventes ont ralenti quelque peu dans l'ensemble du marché depuis quelques mois. »

Un aspect des nouvelles règles hypothécaires a néanmoins touché le segment des résidences secondaires, de façon indirecte. Plusieurs acheteurs refinancent leur maison principale pour obtenir une mise de fonds substantielle sur leur chalet, une procédure moins aisée qu'auparavant, explique Stéfanie Léveillé, propriétaire de quatre bureaux Multi-Prêts dans les Laurentides.

Ottawa a graduellement abaissé de 95 % à 80 % la limite de valeur qui peut être refinancée, si bien que les acheteurs sont de plus en plus nombreux à mettre seulement 5 % de mise de fonds sur leur chalet, soit le minimum requis, souligne Mme Léveillé. Le marché demeure solide, nuance-t-elle, même s'il est plus lent.

« On dirait qu'il y a une conscientisation : les gens vont soit diminuer la taille du projet, ou attendre un peu plus longtemps, dit Stéfanie Léveillé. Les gens vont attendre un peu... ou magasiner pour plus petit. »