C'est la fin d'un long cauchemar pour une douzaine d'immigrants tombés dans les filets de deux courtiers immobiliers qui leur exigeaient des dizaines de milliers de dollars en dépôts bidon, falsifiaient des documents pour les pousser à acheter ou leur prêtaient de l'argent à des taux d'intérêt frôlant l'illégalité.

Après plusieurs années d'abus, le duo a finalement été pincé par son association professionnelle. L'un d'eux, Mike Ali Poor, a été reconnu coupable d'une quinzaine d'infractions différentes, puis suspendu. Il a porté la décision en appel. L'autre, Rimma Alidzaeva, vient d'être reconnue coupable de sept chefs d'accusation. Elle attend sa sanction.

«On a perdu beaucoup de temps et d'argent à cause d'eux», raconte une victime, Assiya Smagulova. Elle arrivait tout juste du Kazakhstan avec son mari lorsqu'elle a requis, en 2006, les services de Rimma Alidzaeva, parce qu'elle parle russe. Comme plusieurs cibles de Alidzaeva et Ali Poor, la nouvelle résidente avait peu de notions de français ou d'anglais.

En à peine deux ans, Mme Smagulova et son conjoint ont acquis tour à tour trois propriétés dont ils ont dû se départir dans les moins suivants l'achat à cause de problèmes de financement ou d'irrégularités. Leur agente, qui travaillait à l'époque au Groupe Sutton Performer de Pointe-Claire avec Mike Ali Poor, s'est approprié plus de 38 000$ dans l'opération en exigeant des dépôts abusifs.

«La défenderesse a expliqué (...) qu'ils devaient effectuer un dépôt de 50 000$ sur la maison, comme le veut la coutume au Canada», lit-on dans le jugement de l'Organisme d'autorèglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) rendu le 28 février. Ses clients n'arrivant pas à payer d'un coup, elle s'est rendue avec eux à une succursale de la Banque de Montréal. Elle y a traduit en russe les explications des employés, affirmant que «tout allait bien». Ils ont alors procédé au transfert de 29 600$ et signé un chèque de 8500$ à l'ordre de Mike Ali Poor.

Dans le cadre d'un autre achat, Rimma Alidzaeva, avec l'aide de M. Ali Poor, dit le jugement, a trouvé un prêteur aux Smagulova. Ils ont découvert après avoir signé les papiers que le taux d'intérêt était de 51%, soit 9% sous la limite légale. «J'étais très surprise, raconte-t-elle. On ne pouvait pas payer. On a dû revendre.» Aujourd'hui, Mme Smagulova et son mari vivent en appartement et «essaie d'oublier». Son histoire n'est qu'un exemple parmi d'autres.

Par exemple, en 2008, Mme Alidzaeva a transmis aux acheteurs et aux vendeurs d'une même résidence un faux document d'approbation d'hypothèque au nom de Canada Mortgage, «pour montrer que la demande de financement était acceptée.» Ce n'était pas le cas.

C'est en contactant Canada Mortgage que l'acheteur a découvert le mensonge lorsqu'on lui a indiqué que l'entreprise n'était pas en activité au Québec. Un tel stratagème aurait été reproduit.

Selon un autre jugement, celui-ci rendu en janvier, Mike Ali Poor a participé à l'élaboration de faux documents, dont une lettre d'embauche, afin que des clients obtiennent du financement. «Il a abusé de la confiance de gens particulièrement vulnérables, lit-on dans la décision de l'OACIQ. Non seulement il a transmis et participé à la fabrication des documents, mais il a aussi bénéficié des transactions.»

Le courtier immobilier fait actuellement l'objet de quelques poursuites au civil, dont une pour laquelle les dommages exigés sont d'environ 20 000$. La décision est en délibéré devant le juge. Dans une autre, déposée fin 2011, Natalie Tykhokhid exige dans un français ardu que lui soient remboursés 3700$. «Je vous demande de me redonner mon argent, qui vous a été donné sous de faux prétextes. J'ai souvent demandé pourquoi je devais vous payer, vous ne m'avez jamais répondu. J'ai été naïve.»

Joint par La Presse, M. Ali Poor a clamé son innocence. «Ils n'ont pas de preuve. Les témoins n'ont fait que répéter ce qu'on leur avait appris à dire.» Il affirme ne pas se souvenir des poursuites contre lui. «Si vous dites qu'il y en a, je vous crois. L'économie est dure et les gens cherchent des moyens de faire de l'argent.»

Mme Alidzaeva se dit aussi innocente et met tout sur le dos de son ex-partenaire. «Je n'ai pas vu ce qui se passait sous la table. Si j'avais su, je ne serais pas dans la même situation.» Elle le poursuit au criminel pour voies de fait, l'accusant de l'avoir frappée à la tête en avril dernier lors d'une chicane.