Après la frénésie des dernières années, la situation de l'immobilier au pays laisse planer des doutes. Quelles sont les perspectives pour le marché canadien? État des lieux.

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Imen Zitouni est déterminée. C'est en 2012 qu'elle achètera sa première maison, après des années à payer un loyer à fort prix à ses propriétaires.

La jeune trentenaire, vice-présidente dans une société d'assurances, compte troquer son appartement du Plateau Mont-Royal pour une maison de ville dans le secteur d'Anjou. Elle a déjà trouvé quelques propriétés intéressantes, dont les paiements hypothécaires mensuels équivaudront à peu près à son loyer actuel.

«Ça fait un bout de temps que je regarde, et on dirait que le marché s'est stabilisé, observe Mme Zitouni. Avec le même budget que l'an dernier, j'ai plus de choix et moins de pression pour faire une offre sur-le-champ.»

Le marché immobilier montréalais a en effet perdu un peu de vigueur par rapport à la folie furieuse d'il y a 18 mois. Les guerres d'offres sont moins fréquentes et la progression des prix, plus modérée. Le nombre de propriétés à vendre a aussi augmenté au cours de 2011, laissant plus de latitude aux acheteurs.

Or, même si la frénésie a baissé de quelques crans, 2011 aura été une année de records dans plusieurs villes canadiennes pour l'immobilier. De Vancouver à Montréal, en passant par Toronto et Québec, les promoteurs ont érigé un nombre impressionnant de condos, tandis que les prix à la revente ont atteint un sommet de tous les temps.

Atterrissage brutal?

La propriété moyenne coûte aujourd'hui 360 000$ au Canada, 5% de plus qu'il y a un an. L'endettement moyen des consommateurs a lui aussi enflé, pour atteindre le niveau jamais vu de 153% du revenu disponible. C'est plus élevé encore que le sommet atteint aux États-Unis avant l'éclatement de la bulle immobilière - une situation qui laisse planer des nuages sur le marché de l'habitation en 2012.

«La prudence est décidément de mise», avertissent Ryan Bohren et Sheryl King, économistes chez Merrill Lynch/Bank of America, dans un rapport publié à la fin du mois de décembre.

Ces experts entrevoient deux scénarios possibles en 2012. Le plus optimiste prévoit une baisse de la demande d'habitations pendant la première moitié de l'année, en raison d'un marché de l'emploi plus difficile. Cette situation se traduirait par un recul des prix, qui serait toutefois contrebalancé par un regain de vigueur en fin d'année.

Le scénario plus pessimiste prédit un «atterrissage brutal». Selon cette hypothèse, la hausse du chômage entraînerait une augmentation du nombre de reprises de maisons, d'autant plus probable que les ménages sont déjà très endettés. Si la situation économique du Canada empire effectivement, le prix des propriétés pourrait reculer d'environ 10% en 2012, avance le rapport de Merrill Lynch/BoA.

La firme s'inquiète tout particulièrement du segment des condos neufs à Toronto, où une véritable orgie de construction a cours. Partout où l'oeil se pose, des promoteurs érigent des tours résidentielles, a constaté La Presse Affaires au cours d'un récent reportage. Des dizaines de projets additionnels sont en outre sur les tables à dessin.

Merrill Lynch/BoA estime que les projets déjà entamés sont suffisants pour répondre à la demande des cinq prochaines années à Toronto. Aussi, le fait qu'une bonne partie des acheteurs soient des investisseurs pose un risque bien réel, celui d'inonder le marché locatif avec trop d'unités. Cette surconstruction pourrait faire baisser la valeur de revente de l'ensemble des copropriétés, avance l'étude.

Le jeu des prédictions

Merrill Lynch est loin d'être la première firme à prédire une baisse des prix au Canada. Année après année, le spectre d'une bulle est évoqué, au point où le ministre des Finances a resserré par trois fois les règles entourant le financement hypothécaire depuis 2008 pour freiner la surchauffe.

Or, depuis quelques mois, la possibilité d'un recul des prix est de plus en plus souvent évoquée - et avec plus d'insistance - en raison de l'endettement record des ménages.

En novembre, The Economist a publié une analyse affirmant que les prix moyens étaient 29% trop élevés par rapport au revenu disponible des Canadiens. Cette surévaluation est encore plus grave qu'au plus fort de la bulle immobilière américaine, tout juste avant son éclatement, avance le magazine.

Le milliardaire montréalais Stephen Jarislowsky a lui aussi lancé un avertissement peu avant Noël. En entrevue à BNN, le gestionnaire de portefeuilles a estimé que les prix étaient surévalués «de 25 à 35%» au pays. Le surendettement des Canadiens est d'autant plus inquiétant qu'ils ne bénéficient pas des mêmes exemptions fiscales que les Américains, a-t-il ajouté.

La Banque TD s'attend quant à elle à un recul de 1 ou 2% des prix et du nombre de transactions en 2012. «L'année sera vraisemblablement caractérisée par un premier semestre plus faible, suivi d'un deuxième plus fort», a fait valoir l'économiste Francis Fong dans un rapport publié à la mi-décembre.

La Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) est plus optimiste. Dans son plus récent rapport prévisionnel, l'organisme fédéral prévoit une hausse de 1,2% du prix de vente moyen cette année (à 368 200$), couplée à une progression de 1,9% des ventes (458 500 transactions).

«Malgré l'incertitude qui continue de peser sur l'économie mondiale, les facteurs économiques fondamentaux au Canada demeurent favorables, a fait valoir Mathieu Laberge, économiste en chef adjoint à la SCHL, cité dans le rapport. C'est le cas notamment des taux d'intérêt, de l'emploi et de l'immigration.»

En définitive, il est impossible de dire qui gagnera au jeu des prédictions en 2012. Au début de 2011, la plupart des économistes s'attendaient à un atterrissage - voire une stagnation - du marché immobilier canadien, lequel ne s'est pas vraiment produit.

La crise financière européenne a donné tort aux prévisionnistes, puisqu'elle a forcé la Banque du Canada à maintenir son taux directeur au plancher. Cette politique a entraîné une nouvelle baisse des taux hypothécaires... et un énième regain du marché immobilier.

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LE MARCHÉ CANADIEN EN 2011

(pour les 11 premiers mois de l'année)

360 396$

Prix moyen d'une propriété

+4,6%

Variation sur un an

432 048

Nombre de maisons vendues

+2,1%

Variation sur un an

Source : Association canadienne de l'immeuble

153%

Taux d'endettement des Canadiens par rapport à leur revenu disponible

Source : Statistique Canada

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AILLEURS DANS LE MONDE...

Si le marché immobilier canadien continue de naviguer à des sommets, le portrait est beaucoup plus contrasté ailleurs dans le monde. État des lieux de quelques pays, tiré d'un récent rapport de la Banque Scotia:

États-Unis

La crise immobilière continue de plomber l'économie américaine en entier. Au troisième trimestre, les prix ont affiché un recul de 7,5% sur un an - et de 30% par rapport au sommet de 2005. La quantité astronomique de propriétés à vendre, jumelée à un chômage élevé, empêche le marché de l'habitation de se relever. Ce déclin continu est en train de changer le visage du pays: le nombre de locataires a grimpé de près de 4 millions au pays depuis 2006, tandis que le nombre de propriétaires a reculé de 1 million.

Australie

Après de forts gains en 2010, le prix des maisons a reculé de 5,7% au troisième trimestre en Australie. La valeur de revente demeure néanmoins près de son sommet historique, au point de soulever certaines inquiétudes quant à une possible bulle immobilière. Le magazine The Economist estime que les prix sont surévalués de 38% en moyenne par rapport au revenu des Australiens.

Japon

La déflation se poursuit dans l'archipel nippon. Le recul du prix des maisons, déclenché après l'éclatement spectaculaire d'une bulle immobilière il y a 20 ans, s'est élevé à 3,3% au troisième trimestre. «Il n'y a pas de fin à l'horizon» pour ce déclin, note la Scotia.

France

Le marché immobilier français demeure «le plus résilient» en Europe, selon la Scotia. Les prix étaient en hausse de 4,4% au troisième trimestre, et ils sont tout près de leurs niveaux records atteints avant la crise de 2008-2009. Cette montée apparaît toutefois insoutenable en raison du chômage élevé, des restrictions à la propriété imposées par le gouvernement et de la baisse des exportations régionales.

Irlande

Le marché immobilier du Tigre celtique, bouillonnant il y a quelques années à peine, est encore en lambeaux. Les prix sont en baisse de 14,7% sur un an, et ils ont reculé de 44% depuis le sommet de 2007. «Le déclin marqué et continu des quatre dernières années a essentiellement annulé une décennie d'augmentation des prix», indique la Scotia.