Un an après le départ des athlètes, l'esprit olympique a été remplacé par une inquiétude palpable au village olympique de Vancouver.

À ce jour, 474 des 737 condos de luxe n'ont toujours pas trouvé preneur, soit 64% du complexe immobilier. Aucun condo n'a été vendu depuis quatre mois. Et le village habité par Shaun White, Joannie Rochette et Alexandre Bilodeau à pareille date l'an dernier est administré par les tribunaux afin d'éviter des pertes d'environ 200 millions de dollars aux contribuables de Vancouver.

Pourquoi la Ville de Vancouver perdrait-elle des centaines de millions avec le village olympique? Parce qu'elle a prêté 740 millions de dollars au promoteur du village, Millenium, en février 2009 après le retrait inattendu du prêteur américain Fortress. En raison des difficultés financières du village olympique, Millenium et la Ville ont placé le village olympique sous la protection des tribunaux en novembre dernier.

La première décision du séquestre nommé par les tribunaux pour administrer le village olympique? Offrir la moitié des condos vacants à 30% de rabais à compter de jeudi prochain. Ernst & Young, qui a remis à la Cour son premier rapport jeudi dernier, s'est donné comme objectif de vendre 230 condos et d'en louer 127. Le séquestre espère ainsi doubler le taux d'occupation du village - de 32% à 70 % - d'ici juillet. Avec davantage de locataires, Ernst & Young croit pouvoir convaincre les commerçants d'emménager au village olympique comme prévu.

La dernière campagne de ventes, lancée en mai 2010 quelques mois après le départ des athlètes, a frôlé la catastrophique : seulement 30 condos ont été vendus entre mai et octobre. Le promoteur Millenium avait vendu 265 condos lors de la première campagne entre octobre 2007 et septembre 2008, récoltant 200 millions de dollars, soit un prix moyen de 755 000 $ par condo. Une trentaine d'acheteurs ont toutefois brisé leur contrat. Résultat : 474 des 737 condos sont toujours à vendre.

La Ville pourrait assumer jusqu'à 200 millions de pertes si les condos sont vendus à rabais, avait estimé en novembre la fonctionnaire municipale responsable du dossier, Penny Ballem. Malgré son optimisme, le maire Gregor Robertson admet que les contribuables de Vancouver puissent assumer certaines pertes à la fin du projet. « Nous pouvons accélérer les ventes et le marketing », a-t-il dit en novembre dernier.

Un projet ambitieux au plan écologique et architectural, le village olympique n'attire pas les clients. « C'est un complexe de condos un peu isolé du centre-ville, dit l'économiste québécois Thomas Lemieux, professeur à l'Université de la Colombie-Britannique. Il n'y a pas beaucoup de commerces et de restos à distance de marche du village olympique. »

Accalmie du marché immobilier

Le plus inquiétant pour les contribuables de Vancouver, c'est que le marché immobilier de leur ville connaîtra une accalmie au cours des deux prochaines années. Après une hausse du prix des maisons de 8,5% en 2010, l'Association canadienne de l'immeuble prévoit des hausses des prix plus modestes de 3,0% en 2011 et de 0,6% en 2012. « Tant que le marché immobilier reste stable, ça ne devrait pas aller si mal (pour vendre les condos), dit l'économiste Thomas Lemieux. Mais la situation m'inquiète un peu.»

La Ville de Vancouver s'est retrouvée bien malgré elle banquière du village olympique et de son promoteur Millenium. À ce jour, la Ville n'a officiellement pas perdu un sou avec son prêt de 740 millions. Elle a emprunté à un taux d'intérêt variant entre 2,5% et 3,0% pour prêter à 4%. La Ville a toutefois déboursé plusieurs fois les coûts d'entretien du village - 1,5 million par mois - car le promoteur Millenium manquait de liquidités.

En août dernier, Millenium a été incapable de payer un versement de 200 millions à la Ville (il manquait huit millions, qui furent payés en retard). Plutôt que de se poursuivre mutuellement pour le contrôle du projet, les deux parties ont demandé aux tribunaux de prendre le village olympique sous leur protection en le mettant sous séquestre.

Si elle est venue à la rescousse de Millenium, la Ville de Vancouver n'est pas non plus une victime totalement innocente dans ce dossier. Après tout, c'est elle qui a choisi le promoteur Millenium et son offre de 193 millions de dollars pour construire le village olympique en 2006. L'offre de Millenium a été plus généreuse que celles de promoteurs immobiliers plus expérimentés comme Walls et Concord Pacific.

Vancouver a aussi exigé de garder la propriété des terrains du village jusqu'aux Jeux olympiques, une condition qui a fait fuir les banques canadiennes à l'étape du financement. Millenium a ainsi été forcé de se financer auprès de Fortress Investment, une firme d'investissement privé de New York qui possède aussi Intrawest (Mont-Tremblant). Fortress a retiré son appui au projet en pleine crise financière, à un an des Jeux olympiques. La Ville de Vancouver a prêté 740 millions à Millenium pour garantir la fin des travaux à temps pour les Jeux olympiques.

Les travaux ont été finis à temps. Les athlètes ont adoré leur séjour au village. Mais les contribuables de Vancouver se demandent toujours combien leur coûtera le village olympique.