La bisbille frappe le prestigieux complexe immobilier le Crystal de la Montagne, qui est au coeur de poursuites croisées totalisant plusieurs millions de dollars.

Le projet mixte de 27 étages, érigé en face du Centre Bell, a été lancé en grande pompe en 2005 et devait marquer un tournant dans l'immobilier haut de gamme de Montréal. Mais la construction a duré quatre ans et demi plutôt que deux, et l'immeuble a généré un important déficit même si presque tous les logements ont été vendus.

Les deux promoteurs s'entredéchirent aujourd'hui en cour pour récupérer des millions de dollars qu'ils estiment chacun leur être dus. Il s'agit de l'homme d'affaires James Essaris - propriétaire de Stationnement métropolitain - et de Pierre Parent, président du groupe Parim inc. et de Resort One.

La fiducie de M. Essaris a agi à titre de gestionnaire dans la construction du gratte-ciel, tandis que M. Parent s'est occupé du marketing et de la vente des 131 copropriétés hôtelières et 59 appartements de luxe.

Dans une poursuite déposée le 9 juillet au palais de justice de Montréal, Pierre Parent, très connu dans le secteur québécois de l'immobilier, affirme avoir rempli sa partie du mandat «avec brio».

Il dit avoir réussi à vendre la presque totalité des logements, ce qui a permis de récolter des revenus de plus de 80 millions de dollars.

Or, allègue-t-il, son partenaire James Essaris «refuse de signer les chèques» pour ses services rendus. M. Parent et sa société R.O. Canada réclament le versement de 1,78 million en commissions impayées.

Dans une demande d'injonction distincte, Pierre Parent demande aussi la moitié des 11 appartements invendus dans le Crystal, ce qui équivaut à 3,38 millions. Selon la poursuite, le contrat entre les deux hommes stipule que les logements restants seraient partagés entre les promoteurs au plus tard huit mois après la fin des travaux, lesquels ont été achevés en avril 2009.

Autre son de cloche

De son côté, James Essaris soutient que Pierre Parent lui doit près de 5 millions de dollars.

M. Essaris, qui possède plus de 24 000 places de stationnement, était propriétaire du terrain sur lequel le Crystal a été bâti. Sa valeur avait été évaluée à 6 millions au lancement du projet, dit-il, et il cherche maintenant à récupérer son apport en capital ainsi que les intérêts engagés auprès de M. Parent. Il a d'ailleurs déposé une poursuite contre son partenaire l'hiver dernier.

«S'il paie mes 5 millions de dollars, cela ne me dérange pas de lui donner son argent», a dit M. Essaris hier pendant un entretien téléphonique.

L'homme d'affaires estime que son partenaire a été «malhonnête» dans toute cette affaire. Il affirme que Pierre Parent a vendu et ensuite «revendu» certains logements, ce qui lui a permis d'empocher des commissions auxquelles il n'aurait pas eu droit.

Pierre Parent se défend de toute malversation. «Toutes les commissions que j'ai touchées, ce sont des commissions qui étaient documentées avec des contrats, avec chacune des personnes de qui j'ai touché ces commissions-là», a-t-il lancé à La Presse Affaires en réponse aux accusations de son partenaire.

En définitive, malgré la vente de la majorité des logements, le projet a perdu environ 5 millions de dollars, soutient M. Parent. Il attribue principalement ce déficit aux retards de construction. James Essaris dit pour sa part avoir perdu 13 millions.

Acheteur coincé

Par ailleurs, Le Crystal de la Montagne S.E.C. est poursuivie par une société à numéro de Laval. Il s'agit d'un acheteur qui a signé un contrat préliminaire pour l'achat d'une unité de copropriété hôtelière, en septembre dernier. Il a versé un dépôt de 73 490$.

Mais il n'a jamais réussi à obtenir de financement. Toutes les institutions financières et plusieurs courtiers immobiliers lui ont dit qu'ils ne finançaient plus le projet, allègue-t-il dans sa requête présentée en Cour supérieure, le 11 juin.

Incapable de conclure la transaction, l'acheteur veut récupérer son dépôt que le Crystal refuse de lui rendre, soutient-il. Il a été impossible d'obtenir les commentaires de l'avocat du Crystal qui est à l'extérieur du pays.

Il est vrai que les copropriétés hôtelières sont beaucoup plus difficiles à financer qu'auparavant. «Il y a plusieurs prêteurs qui ne touchent pas à ça», dit Denis Doucet, directeur régional du courtier hypothécaire Multi-Prêts.

Comme avec les copropriétés indivises, les prêteurs ont peur d'être coincés dans un panier de crabes, avec un promoteur qui s'occupe de la location et un groupe de copropriétaires qui ont tous leur mot à dire. Personne ne peut agir librement sans le consentement des autres. «Quand il y a plusieurs maîtres à bord, c'est difficile de savoir qui tient le gouvernail», dit M. Doucet.

Néanmoins, il y a encore des institutions qui financent les copropriétés hôtelières, dans la mesure où l'acheteur a un bon dossier de crédit et une capacité de remboursement suffisante. Les demandes de financement pour le Crystal ne sont pas systématiquement refusées, a pu confirmer La Presse Affaires.

Il reste que le marché de la revente de copropriétés hôtelières est morose. «En ce moment, ça ne se vend pas très bien. La récession n'a pas aidé et il n'y a pas eu de Grand Prix l'an dernier. D'autres hôtels ont ouvert leurs portes au centre-ville», résume Louise Latreille, un des agents qui ont vendu les unités du Crystal à l'origine.

De plus, les acheteurs potentiels de copropriétés hôtelières surveillent de près les changements apportés à l'hôtel Saint-Sulpice, dans le Vieux-Montréal. Cet hôtel était dirigé depuis huit ans par Resort One, comme le Crystal. Mais à la fin de son mandat, en février dernier, les 108 copropriétaires ont repris la gestion de l'établissement.