Le prix des immeubles locatifs a presque triplé depuis 10 ans à Montréal. Les multiples utilisés pour calculer la rentabilité des «plex» ont suivi une courbe similaire. Avec la remontée des taux hypothécaires, est-ce encore le temps d'investir? Oui... à condition de très bien faire ses calculs. Et de trouver la perle rare.

Schiller Nerestant, consultant en informatique dans la trentaine, s'est lancé sérieusement dans l'immobilier il y a cinq ans. Il a acheté un triplex, puis un autre, et ensuite un immeuble de 14 logements dans Rosemont et le Plateau-Mont-Royal. Une «lourde» tâche, reconnaît-il.

«C'est sûr qu'il y a des mauvais payeurs et des bris inattendus, mais je savais déjà en me lançant là-dedans que j'aurais des mauvaises surprises, dit le Montréalais. Il s'agit de bien se préparer au départ, en ayant des liquidités suffisantes.»

M. Nerestant a pu compter sur l'expérience de sa famille, déjà propriétaire de plusieurs immeubles à logements dans la région. Et sur des fonds de roulement adéquats. Mais pour bien des investisseurs néophytes, le rêve d'acheter une propriété à revenus semble aujourd'hui plus inaccessible que jamais.

Le prix médian des «plex» de deux à cinq logements a explosé dans l'île de Montréal depuis 2000. Il est passé de 148 000$ à 395 000$, un bond de 167% en une petite décennie. Dans les quartiers centraux du Plateau et de Rosemont-La Petite-Patrie, la hausse est encore plus importante et la valeur médiane tourne autour du demi-million.

Les loyers, pendant ce temps, ont progressé à un rythme beaucoup plus faible: 34% en 10 ans pour un appartement de deux chambres à Montréal. Si bien que les rapports utilisés pour calculer la rentabilité des investissements dans l'immobilier locatif -en particulier le multiple de revenu brut- atteignent ces jours-ci des sommets inégalés.

Traditionnellement, le «chiffre magique» pour calculer le multiple de revenu brut tournait autour de 10, souligne Denis Doucet, directeur général du courtier hypothécaire Multi-Prêts sur la Rive-Sud. En gros, cela signifie qu'il faudrait 10 ans pour rembourser la propriété en calculant le revenu annuel généré par les logements, avant les dépenses. Le rapport est théorique, mais il donne une bonne idée de la rentabilité de l'immeuble convoité.

«Le printemps dernier, j'ai vu passer des dossiers où les gens voulaient payer des sommes équivalant à 19 fois les revenus, raconte M. Doucet. Ce sont des dossiers qu'on n'a jamais été capables de faire financer.»

Les prix ont tellement flambé qu'il n'est pas rare d'observer des propriétés à vendre affichant des multiples encore plus hauts, de 20, 25, voire 30 fois les revenus bruts. Des rapports qui peuvent être acceptables pour un propriétaire occupant (qui paie une partie de son hypothèque grâce à ses revenus de location), mais qui sont extraordinairement élevés dans les cas d'investissement pur, soulignent plusieurs experts consultés par La Presse Affaires.

«Dans les plex, la rentabilité n'est pas là, tranche Jean-François Bigras, investisseur et ex-président de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec. Si on parle d'investissement, quand on regarde les prix qui sont payés aujourd'hui, c'est à très long terme que ce sera rentable.»

«Aucune logique»

M. Bigras, comme plusieurs autres, prône la plus grande prudence au moment de signer un acte d'achat.

«Aujourd'hui, bien des gens achètent des immeubles sans aucune logique mathématique», lance Jacques Lépine, président fondateur du Club d'investisseurs immobiliers du Québec.

Le sexagénaire a lancé son club il y a 10 ans dans le but de former des «chasseurs d'aubaines». Il étudie plusieurs paramètres avant de fixer son choix sur une propriété, en particulier le multiple du revenu net, soit le nombre d'années pour payer la propriété en se basant sur les revenus annuels après les dépenses, sauf l'hypothèque.

«À 12 fois les revenus d'exploitation normalisés, vous faites une aubaine extraordinaire, à 15 fois, c'est bon, et au-dessus de ça vous commencez à payer un peu cher, dit-il. Moi, je ne paie jamais au-dessus de 16,5. Jamais, jamais, jamais.»

Quoi acheter?

Le marché des plex est survolté, comme en font foi les surenchères de plusieurs dizaines de milliers de dollars souvent observées depuis un an. Mais les bonnes affaires existent, affirme Jacques Lépine. Comme les trouver? L'expert recommande de chercher les propriétaires en détresse, en surveillant notamment les préavis d'exercice au registre foncier.

«Il faut trouver les vendeurs motivés: ceux qui paient trop cher, ceux qui sont sous-capitalisés et qui financent trop haut, avance-t-il. Quand on regarde les prix que les gens paient aujourd'hui, il y aura un fort pourcentage qui ne pourront pas tenir le coup, à moins qu'ils aient mis énormément de comptant.»

Sébastien Demers, président du site web spécialisé Gooplex.com, conseille quant à lui d'élargir ses horizons géographiques. Son site, destiné aux investisseurs, permet de chercher des immeubles locatifs en fonction de plusieurs critères, comme le multiple de revenu brut le plus bas. «Ça joue entre 5 et 30 fois les revenus; ça donne une idée de la fourchette!»

Sans surprise, les propriétés offrant le meilleur potentiel de rentabilité sont souvent situées en région, hors des grands centres. Ce qui ne devrait pas décourager les acheteurs à l'affût d'une bonne affaire, affirme M. Demers.

«Il n'y a pas de barrière géographique à l'investissement immobilier, dit-il. Des gens de Toronto peuvent voir un duplex à Trois-Rivières et se dire: le rapport est bon, j'achète. Il y aura toujours un local digne de confiance pour faire l'entretien et collecter les revenus.»

François Mackay, courtier immobilier chez Sutton, recommande en outre d'éviter les trop petits immeubles pour optimiser son rendement. «Si vous n'avez pas l'intention de l'occuper, je conseille au moins un immeuble de quatre logements, sinon six.»

Enfin, l'investisseur Jean-François Bigras lance cet avertissement à tous les futurs acheteurs, qu'ils comptent habiter leur immeuble ou non: «Soyez prudents, et ne faites pas vos calculs en fonction du taux d'intérêt actuel! Il faut rester réaliste.»