Vincent Duhamel s'est joint il y a un an à la firme de gestion de placements Fiera Capital à titre de chef de l'exploitation globale avec le mandat d'internationaliser les activités de la société. Il nous explique sa vision du marché et ses objectifs de croissance pour les prochaines années.

Vous êtes revenu à Montréal l'an dernier après un séjour de 21 ans en Asie, où vous avez dirigé plusieurs sociétés d'investissement. On ne vous connaît donc pas beaucoup ici. Expliquez-nous votre parcours pour le moins singulier.

J'ai entrepris ma carrière chez Lévesque Beaubien, en 1985, comme courtier en valeurs mobilières. J'avais Louis Vachon [PDG de la Banque Nationale] comme collègue. Puis j'ai été recruté par Pictet en Suisse, où j'ai fait de la gestion de portefeuille.

En 1992, la firme State Street de Boston m'a offert d'ouvrir un bureau à Montréal, mais je ne me voyais pas jouer au Canadien français de service pour réaliser leurs transactions avec la Caisse de dépôt. Je leur ai plutôt offert de créer à Montréal leur bureau de gestion pour l'ensemble du Canada.

En 1997, notre bureau comptait une cinquantaine d'employés et on gérait 10 milliards d'actifs. State Street m'a alors demandé d'aller ouvrir leur bureau pour desservir l'Asie.

Je suis arrivé à Hong Kong en juin 1997, une semaine avant la rétrocession à la Chine. En juillet, le bath thaïlandais s'effondre et la crise financière asiatique éclate. J'ai vraiment eu l'impression à l'époque d'avoir pris la pire décision professionnelle de ma vie, et j'ai même offert aux dirigeants de State Street de fermer le bureau. Ils m'ont pleinement épaulé en me disant d'être patient.

En 2005, quand j'ai quitté State Street, on avait 40 milliards d'actifs sous gestion. Je suis passé alors chez Goldman comme directeur général de leur bureau asiatique, avant que la banque Lombard me demande de mettre sur pied leur bureau à Hong Kong.

Il y a deux ans, toutefois, je leur ai indiqué que je voulais revenir à Montréal. Mes trois enfants étaient rentrés pour étudier ici, et ma femme et moi, on trouvait qu'il était temps de revenir. J'ai appelé Louis Vachon et il m'a suggéré de parler à Jean-Guy Desjardins, PDG de Fiera, qui cherchait justement quelqu'un.

Vous avez été embauché avec le mandat très clair de voir au développement international de Fiera pour en faire une firme de gestion mondiale. Pourquoi orchestrer un tel virage ?

Avec nos 140 milliards d'actifs sous gestion, Fiera est le numéro trois au Canada, mais les possibilités de croissance sont moins nombreuses. On a entrepris notre expansion aux États-Unis, où la firme a réalisé trois acquisitions. Mais avec 30 milliards d'actifs sous gestion, on reste un petit joueur aux États-Unis, où il y a par contre beaucoup de potentiel de croissance. On vise à atteindre rapidement les 50 milliards d'actifs aux États-Unis et, éventuellement, ils vont devenir notre principal marché.

Outre l'expansion américaine, Fiera s'est positionnée à l'international en achetant, il y a deux, ans la firme Charlemagne, une société de placement spécialisée dans les marchés émergents. Nos clients nord-américains peuvent profiter de leur expertise et nous, on offre à nos clients britanniques des occasions d'investissement au Canada. Deux gros fonds de pension viennent de prendre des participations importantes dans notre fonds d'infrastructures du tunnel Billy Bishop à Toronto.

On veut se hisser au sein des 100 plus grosses firmes d'investissement au monde. On occupe présentement le 147e rang.

Depuis que vous vous êtes joint à Fiera, vous avez réalisé une première acquisition en Asie, le printemps dernier. Qu'est-ce que cette plateforme va vous apporter et comment évaluez-vous le potentiel du marché asiatique ?

On a acheté la société Clearwater, établie à Hong Kong et à Singapour, qui est spécialisée dans le crédit alternatif. Elle a de très bons clients, comme la Banque mondiale, des fonds souverains européens et du Moyen-Orient. Cette plateforme est importante.

On a maintenant un pied en Asie, et il faut être sur place pour bien saisir les occasions d'investissement. On connaît tous Alibaba, mais il y a 6000 entreprises de technologies en Chine que l'on ne connaît pas. C'est aussi une occasion pour nous de recruter des talents.

L'Asie va continuer de se transformer. On ne fera pas de gros volumes immédiatement, mais de 2025 à 2035, une part importante de nos revenus va être générée à partir de l'Asie.

Vous faites maintenant du crédit alternatif, vous avez des fonds d'infrastructures, vous avez aussi des fonds agricoles. Pourquoi développer de tels produits financiers ?

On est des gestionnaires de fonds actifs. Il est important pour nous de rendre nos portefeuilles plus robustes pour nos clients. Si la Bourse de New York subit un krach, les vaches en Nouvelle-Zélande vont continuer à produire du lait pour les consommateurs chinois. On est le plus gros propriétaire de vaches en Nouvelle-Zélande.

On doit avoir la capacité de trouver des solutions d'investissements pour nos clients. Les placements en revenus fixes et les actions sont toujours au coeur de nos actifs, mais on a présentement 6 % de nos fonds qui sont dans des placements alternatifs, comme l'immobilier, les infrastructures, les prêts à haut risque. Cette portion de nos portefeuilles devrait monter à 10 % au cours des prochaines années.

Quels sont les plus gros défis qui vous attendent dans le processus de transformation d'une entreprise essentiellement nord-américaine en une organisation mondiale ?

Il faut d'abord développer un leadership global pour aller chercher le maximum de la diversité de nos talents. On développe présentement différents programmes pour cimenter la culture de l'entreprise. Il faut trouver un langage commun même si on devient une entreprise multilingue.

On doit aussi mettre en place une infrastructure technologique globale. On vient d'ailleurs d'embaucher un CTO [chef de la direction technologique] pour bâtir une même plateforme et pour travailler tous ensemble sur un même système.

Enfin, il faut bien gérer la performance, être capable d'adopter des produits d'investissements selon les marchés que l'on dessert.

Vous avez 55 ans. Vous auriez pu prendre votre retraite. Est-ce qu'on vous a proposé de devenir éventuellement le prochain PDG de Fiera Capital ?

Jean-Guy Desjardins, notre PDG, est encore très présent et Fiera a beaucoup de profondeur dans ses rangs. Moi, je me suis engagé pour une période de 10 ans. Ma femme préfère me voir au travail...

Sérieusement, de me joindre à l'équipe de Fiera m'a permis de réaliser mon retour sur la scène financière montréalaise, et j'en suis très content. On a de beaux défis devant nous et on a l'équipe pour les relever.