Valérie Pisano a été nommée, il y a tout juste deux mois, présidente et chef de la direction du Mila, le tout nouvel Institut québécois d'intelligence artificielle, et son mandat est simple : il faut garder à Montréal le noyau fort de compétences en intelligence artificielle (IA) qui s'y est développé et surtout continuer de le faire grandir en attirant notamment de nouveaux chercheurs de très haut calibre.

C'est dans les futurs locaux - en pleine rénovation - du Mila au 6666, rue Saint-Urbain, ce complexe du Mile-Ex qui abrite déjà l'IVADO, l'Institut de valorisation des données, que Valérie Pisano me reçoit pour m'expliquer comment fonctionnera l'Institut québécois d'intelligence artificielle lorsque ses occupants vont s'y installer dans le courant de l'automne.

« On va avoir 20 professeurs-chercheurs de l'Université de Montréal, de Polytechnique, de HEC et de McGill, tous spécialisés en intelligence artificielle, et 220 étudiants en maîtrise en sciences ou au doctorat.

« Au-delà de sa mission académique dans le domaine de l'apprentissage automatique, le Mila va aussi intensifier ses travaux de recherche en apprentissage avancé et en apprentissage par renforcement. » - Valérie Pisano

La nouvelle PDG souligne par ailleurs les deux autres missions fondamentales que s'est données le Mila, soit d'ouvrir ses portes aux entreprises québécoises qui veulent intégrer l'intelligence artificielle dans leurs pratiques industrielles et d'assurer un dialogue social constant pour que l'IA profite à l'ensemble de la société.

« C'est ce qui nous distingue par rapport à plusieurs autres centres de recherche en IA dans le monde. Le Mila a un engagement ferme à démocratiser les avancées en intelligence artificielle pour qu'elle serve à des fins environnementales et sociales », précise la PDG.

BÂTIR SUR LA RENOMMÉE

L'Institut québécois d'intelligence artificielle a décidé de continuer d'opérer sous le nom de Mila, l'acronyme du Montreal Institute for Learning Algorithms, le centre de recherche qu'a fondé le professeur Yoshua Bengio, rattaché à l'Université de Montréal.

Yoshua Bengio, une sommité mondiale en IA, est d'ailleurs toujours le directeur scientifique du Mila. « C'est comme dans le domaine théâtral. Le professeur Bengio est le directeur artistique et moi, je suis la directrice générale », propose comme analogie Valérie Pisano.

« Le Mila a acquis une renommée mondiale, et Montréal a réussi à conserver une densité importante de chercheurs en IA et à développer une spécialiste en apprentissage profond qui lui est propre et c'est là-dessus que nous bâtissons. » - Valérie Pisano

Le grand défi des cinq prochaines années sera d'arriver à attirer une dizaine de chercheurs additionnels au Mila, le nombre requis pour asseoir davantage la notoriété internationale du nouvel Institut.

« Les universités peinent à conserver leurs chercheurs. Ils sont sollicités par l'industrie qui offre des salaires que les institutions d'enseignement sont incapables d'assumer. L'Université Cambridge vient tout juste de lancer un cri d'alarme. Elle forme des chercheurs qui vont faire fortune dans le secteur privé.

« On arrive à garder et attirer des chercheurs de haut niveau à Montréal parce que notre mission n'est pas que mercantile, on vise vraiment à ce que l'IA profite au plus grand nombre de citoyens », rappelle Valérie Pisano.

Cet engagement envers la démocratisation de la recherche en intelligence artificielle n'a pas empêché les grands acteurs du numérique d'ouvrir des laboratoires de recherche à Montréal pour se rapprocher du Mila, que ce soit Samsung, Microsoft, Google, Thales...

« On va continuer de travailler en collaboration avec ces grandes entreprises qui participent au financement de l'Institut, mais on va s'ouvrir aux PME québécoises qui veulent développer une expertise en IA », expose la PDG du Mila.

UN FINANCEMENT GARANTI

Le ministère de l'Économie, de la Science et de l'Innovation (MESI) a confirmé, la semaine dernière, que le Mila allait pouvoir compter sur un financement de 80 millions de dollars au cours des cinq prochaines années. Le gouvernement fédéral s'est engagé à verser 44 millions au Mila pour soutenir ses activités académiques et de recherche.

Le financement du MESI va permettre d'absorber les coûts de fonctionnement du Mila, qui compte sur une équipe de départ de 30 personnes affectées au soutien administratif et technique.

« On a une équipe de 10 personnes affectée au soutien logiciel et technique. Il faut pouvoir répondre aux besoins des chercheurs et leur livrer les capacités nécessaires.

« On a une autre dizaine de personnes qui vont s'occuper du transfert technologique et qui vont soutenir les PME québécoises dans leur démarche en vue d'acquérir une expertise en IA pour leur entreprise », relève Valérie Pisano.

La Caisse de dépôt et placement va utiliser les services du Mila pour soutenir les jeunes pousses dans lesquelles elle a investi et leur donner accès aux travaux du Mila. Quelque 2000 pieds carrés ont été réservés à cette fin.

Valérie Pisano avait le profil tout désigné pour occuper le poste de PDG du Mila. Titulaire d'une maîtrise en économie appliquée de HEC Montréal, Mme Pisano a toujours oeuvré dans le domaine du conseil en stratégie et en gestion de talent, notamment chez McKinsey et au Cirque du Soleil.

« Le monde de l'intelligence artificielle est un écosystème complexe mais fascinant. Il est composé de jeunes étudiants au doctorat, de professeurs-chercheurs émérites, de start-ups qui sont dans le domaine et de grandes entreprises qui ne veulent pas perdre leur leadership. On va créer un tissu unique pour tous ces gens-là ici, à Montréal », assure la PDG.