C'est en 1918 qu'Aristide Lassonde a posé les fondations de l'entreprise A. Lassonde en établissant une conserverie de légumes sur le rang de la terre qu'il avait acquise à Rougemont. Cent ans plus tard, Lassonde est devenu le deuxième transformateur de jus en Amérique du Nord et enregistre aujourd'hui des ventes annuelles de plus de 1,5 milliard de dollars tout en affichant une valorisation boursière de 1,7 milliard.

Pierre-Paul Lassonde, le petit-fils d'Aristide, raconte avec une fierté évidente les débuts modestes de l'entreprise qu'il dirige depuis 1975, soit depuis qu'il l'a rachetée de son père Willie.

« Comme beaucoup de Québécois à l'époque, mon grand-père a immigré aux États-Unis à la fin des années 1800 pour aller gagner sa vie dans le Massachusetts. Il a travaillé comme boulanger chez Darcy's Bakery et a marié la fille du propriétaire, Georgianna Darcy, elle aussi d'origine québécoise.

« Mais il a développé une allergie à la farine qui l'a forcé à arrêter de travailler et a donc décidé de revenir s'établir au Québec où il a acheté une terre agricole à Rougemont. Rentier, il parlait l'anglais, ce qui lui a permis d'aller à Montréal chez American Cannery acheter l'équipement pour bâtir une conserverie sur sa terre, là même où nous nous trouvons aujourd'hui », relate Pierre-Paul Lassonde, au siège social de l'entreprise à Rougemont.

Au départ, Aristide Lassonde et sa femme Georgianna font ça pour rendre service aux agriculteurs du voisinage, mais le grand-père Lassonde prend goût à cette activité industrielle et développe une relation avec la mère de Sam Steinberg, fondateur de la première chaîne de supermarchés québécoise, qui lui permettra d'écouler ses conserves de légumes dans les premières épiceries montréalaises du groupe.

JUS DE POMME ET DIVERSIFICATION

Willie Lassonde, le fils d'Aristide, a pris la relève de l'entreprise familiale en 1948 et c'est en 1959 qu'il se lance dans la production de jus de pomme, là encore pour répondre aux besoins des pomiculteurs de la région.

C'était l'époque du jus de pomme en « canne » Rougemont qui s'est progressivement imposé dans les épiceries québécoises.

« Je me souviens lorsqu'on a franchi pour la première fois la marque du million de ventes, c'était en 1971. C'était tout un événement. » -Pierre-Paul Lassonde, qui a pris la relève de son père en 1975

En 1981, le petit-fils du fondateur s'associe à l'entrepreneur Jean-Paul Barré pour créer Industries Lassonde, le holding industriel qui va chapeauter différentes entreprises de transformation alimentaire.

Au fil des ans, Lassonde se diversifie dans la production de jus de fruits et de légumes sous la marque Oasis. Puis dans l'élaboration et la production de sauces à pâtes et à fondue, de soupes et de bouillons dans ce qui deviendra Spécialités Lassonde.

On crée aussi Vins Arista, une division d'importation et de commercialisation de vins dans des contenants recyclables.

En 1987, Lassonde fait son entrée en Bourse, à la suite d'un premier appel public à l'épargne ; ce sera d'ailleurs le seul et unique de son histoire. Pierre-Paul Lassonde et sa famille ont conservé 53 % des actions du groupe et 93 % de ses droits de vote.

C'est aussi en 1987 que Jean Gattuso se joint à Industries Lassonde à titre de directeur du marketing. Il deviendra président de A. Lassonde, la division des jus, en 1998 et succédera à Jean-Paul Barré en 2008 à titre de président de l'ensemble du groupe.

EXPANSION ET PÉRENNITÉ

« Quand je suis arrivé en 1987, les activités de Lassonde étaient essentiellement concentrées au Québec. La région d'Ottawa était considérée comme un marché d'exportation », se rappelle Jean Gattuso.

Une situation qui a radicalement changé depuis que Lassonde a réalisé une douzaine d'acquisitions qui lui ont permis de consolider le marché canadien avant de faire une entrée en force aux États-Unis en 2011 avec l'acquisition du groupe John Pappas, le deuxième transformateur de jus de marques privées aux États-Unis.

En 2014, Lassonde récidive en bouclant l'achat du producteur indépendant Apple & Eve, une marque reconnue sur le marché américain.

En 2016, Lassonde a enregistré un chiffre d'affaires de 1,5 milliard et 58 % de ses revenus ont été réalisés sur le marché américain. Une proportion qui pourrait augmenter au cours des prochaines années alors que le groupe québécois entend poursuivre la consolidation du marché aux États-Unis.

« On est devenus une entreprise diversifiée qui commercialise pas moins de 4000 produits différents, avec nos marques et les marques privées que l'on développe pour les grands groupes tels que Walmart, Metro ou Loblaw. C'est une activité de logistique assez incroyable », souligne Jean Gattuso.

Si Lassonde est en mesure d'afficher une telle vitalité, 100 ans après sa fondation, c'est qu'elle a toujours su innover et garder intact l'esprit d'entrepreneuriat qui a caractérisé ses débuts.

« On est une entreprise qui a toujours innové en maintenant une vision à long terme. Mon président ne veut rien savoir du prochain trimestre, il veut savoir où nous serons dans trois ans », explique Jean Gattuso.

Ce que confirme Pierre-Paul Lassonde en soulignant que le contrôle familial qu'il exerce permet d'assurer la pérennité du groupe et que l'entreprise ne cherche pas à plaire au marché.

La valeur de l'action de Lassonde a triplé au cours des cinq dernières années, passant de 80 $ à 250 $, mais il n'est pas question que le groupe procède à un fractionnement.

« On n'a pas besoin du marché boursier. Le fait d'être une société publique nous a donné de la crédibilité, notamment pour réaliser nos acquisitions aux États-Unis, mais on finance nous-mêmes nos acquisitions avec l'appui de nos banquiers.

« En 2007, j'aurais pu vendre. Mais ça m'aurait donné quoi ? J'aurais eu un paquet d'argent, j'aurais acheté des actions qui auraient toutes chuté. Là, on construit quelque chose de durable. On pense petit, mais on voit grand », insiste le petit-fils du fondateur.

Sa fille, Nathalie, adjointe au président et vice-présidente, efficacité opérationnelle, du groupe de transformation alimentaire, entend suivre la même voie en favorisant le développement à long terme du groupe. Dans 100 ans, qui sait où sera rendu Lassonde ?