Il y en a pour qui rien ne pourra les empêcher de réaliser le rêve d'une vie. C'est à l'évidence le cas de Pierre de Ruelle, le PDG et fondateur de la Compagnie des Mers du Sud, qui à 70 ans, se prépare à réaliser l'an prochain le tour du monde en solitaire à bord du War Eagle, son voilier de 45 pi. Un périple fou qu'il prévoit compléter sans escale, sans mouillage, sans assistance et sans communication externe et qui durera entre 7 et 10 mois. Rien de moins.

« J'aime aller au bout de moi-même », résume tout simplement l'entrepreneur pour expliquer le projet qu'il caresse depuis qu'il a réalisé une première traversée de l'Atlantique en solo, en 1984, sur un voilier de 22 pi.

Depuis, il a répété l'exploit plus d'une quinzaine de fois avec les sept bateaux qu'il a possédés au fil des ans. Il quitte les Açores, où son voilier est amarré durant l'hiver, pour se rendre jusqu'à Saint John's, Terre-Neuve, et il refait le trajet inverse à la fin de l'été.

L'an dernier, en guise de préparation pour son tour du monde en solitaire, Pierre de Ruelle a navigué le trajet sans s'arrêter et a complété le parcours de 5000 miles nautiques en 22 jours, grâce, en bonne partie, aux courants favorables.

Mais la prochaine commande est différente. On parle ici d'un périple de plus de 30 000 miles nautiques qui ne se déroulera pas toujours dans des conditions favorables. Il devra souvent naviguer, comme le veut l'expression consacrée, contre vents et marées.

Il va partir de Saint John's et gagner l'Atlantique Sud avant de se diriger vers le cap de Bonne-Espérance pour aller rejoindre l'océan Indien. Il devra par la suite s'aligner vers l'Australie et retrouver l'océan Pacifique via le cap Leeuwin. De là, il compte boucler la boucle en retrouvant l'Atlantique en suivant le passage obligé du cap Horn pour regagner Saint John's.

Au départ, Pierre de Ruelle prévoyait réaliser ce tour du monde en solo à l'été 2018, mais il a décidé d'en faire un « challenge » amical pour lequel il conviera tous les marins passionnés comme lui à y participer sur une base volontaire.

L'événement se mettra en branle en juillet 2019.

« Dans les prochaines semaines, je vais lancer l'invitation à tous les clubs de voile d'Amérique du Nord pour que les gens puissent se préparer. Le Défi des Cafés des Mers du Sud n'imposera pas de règles.

« Les participants vont concourir sur l'honneur en suivant un itinéraire semblable au mien. La condition principale étant de partir en solo d'un port situé au nord du 37e degré nord et de compléter le parcours sans escale, mouillage ni assistance », explique le capitaine de Ruelle.

UN PARCOURS ATYPIQUE

Cet appel de la mer et ce goût des aventures extrêmes ne sont pas arrivés tardivement dans la vie de Pierre de Ruelle.

Fils d'un militaire français, Pierre de Ruelle a suivi son père durant 15 ans dans ses différentes affectations. Il a fait le tour du monde, en changeant de pays tous les trois ans.

« À 15 ans, j'étais un élève dissipé, un peu bum. Je me suis donc inscrit à l'école militaire pour devenir officier de marine. Je suis resté dans l'armée française jusqu'à 23 ans. J'ai été fusilier marin, parachutiste, nageur de combat ["navy SEAL"], plongeur-démineur... », relate-t-il.

En 1970, à 23 ans, il décide d'immigrer au Québec où il fera les 100 métiers - promeneur de chiens, cireur de chaussures, plongeur de restaurant -, avant de suivre des cours en marketing aux HEC et de se lancer dans la vente de café en grains haut de gamme, en fondant, en 1975, la marque Orient Express.

En 1987, il vend Orient Express à Van Houtte et devient vice-président marketing de l'entreprise en forte expansion. Il va y demeurer jusqu'en 1994 avant de relancer une entreprise de distribution de café en fondant la Compagnie des Mers du Sud.

L'avènement de la mode du café en dosette a fait mal au Café des Mers du Sud. En sept ans, l'entreprise a vu ses ventes chuter de 30 %, mais depuis deux ans, elle a tout repris les volumes perdus et affiche même cette année une hausse de 20 % de ses ventes.

« Le café en dosette a atteint son pic, il y a un an et demi. On a vendu aux consommateurs qu'ils allaient gagner du temps. Mais la raison économique reprend le dessus. » - Pierre de Ruelle

« Ça coûte entre 80 cents et 1,10 $ se faire un café en dosette alors qu'avec notre café moulu, le coût de revient d'une tasse est de 7 cents, les gens l'ont compris », souligne Pierre de Ruelle.

L'entrepreneur confie qu'il n'a jamais été question pour lui de baisser les bras quand les choses allaient moins bien. « J'ai jamais pensé abandonner. Over my dead body », s'exclame-t-il.

Tout comme il est convaincu de mener à bien son tour du monde en solitaire, malgré les séquences de sommeil de 15 minutes à la fois au maximum qu'il pourra se permettre durant son périple de 7 mois, puisqu'il faut toujours être à l'affût d'un obstacle éventuel.

Pierre de Ruelle a d'ailleurs vécu les affres d'un naufrage lorsque son voilier a coulé durant une de ses traversées de l'Atlantique en solo, en 1991, et il a toujours été convaincu qu'il allait s'en sortir.

« Mon bateau s'est abîmé durant une grosse tempête. J'étais à 200 miles nautiques du Groenland. Je suis resté huit jours sur mon radeau de sauvetage avant qu'un bateau hollandais me repère et me rescape. J'étais prêt et j'aurais pu " tougher " trois mois sur mon radeau. Il n'a jamais été question que je ne m'en sorte pas », se souvient-il.

Pierre de Ruelle n'entrevoit pour son prochain périple aucun angle négatif, il n'y voit que la réalisation du rêve d'une vie et le dépassement ultime de soi.