L'industrie du vêtement, jadis florissante au Québec, a opéré au cours des deux dernières décennies sa presque totale délocalisation vers l'Asie et de nombreux pays en développement. Eric Wazana, PDG et fondateur de Yoga Jeans, qui fabrique tous ses jeans dans son usine de Saint-Côme-Linière, en Beauce, a décidé de renverser la vapeur. « D'ici 10 ans, l'Asie va devenir notre principal marché et va acheter nos jeans fabriqués ici », anticipe-t-il.

Eric Wazana a fondé Second Clothing en 2000 après avoir réalisé un court séjour dans le monde du commerce au détail. Diplômé des HEC en comptabilité et finances, le jeune entrepreneur en devenir constate que beaucoup de femmes ne trouvent pas de jeans qui leur conviennent parfaitement.

Il contacte une ex-copine qui avait obtenu son diplôme en mode du collège LaSalle et tous les deux se lancent tête première dans la création d'une nouvelle ligne de jeans.

« Trente jours plus tard, je me retrouve à New York avec 10 modèles de dessinés et j'entreprends de les faire fabriquer », raconte Eric Wazana.

Avec le recul, il avoue candidement que les cinq premières années de Second Clothing ont été éprouvantes. Il confesse qu'il a commis toutes les erreurs possibles. Ses jeans qui se vendent 20 $ en boutique coûtent 19,50 $ à produire.

« En 2005, on a repensé notre modèle d'affaires en cherchant à développer un concept qui apporterait une plus-value. On avait alors décidé de produire le jeans le plus confortable au monde. Un jeans avec lequel on pourrait faire du yoga. » - Eric Wazana, PDG et fondateur de Yoga Jeans

Durant deux ans, Wazana et ses stylistes, aidés d'un ingénieur en design, déconstruisent le jeans, testent une centaine de tissus différents et arrivent à développer un matériau textile à l'élasticité diagonale qui permet au vêtement d'épouser toutes les poses corporelles qu'exige la pratique du yoga.

« Ç'a été un défi parce que le bureau d'enregistrement des marques refusait de reconnaître notre nom. Ils estimaient que ce serait trompeur de laisser croire qu'on pourrait faire du yoga en jeans. On leur a démontré que c'était possible », s'amuse Eric Wazana.

En 2007, la nouvelle marque fait ses débuts dans une dizaine de boutiques et c'est un succès instantané. Il s'agit de produits haut de gamme qui se détaillent en magasin entre 139 $ et 200 $, selon les modèles.

FABRIQUÉS AU QUÉBEC

Depuis le début, les jeans Second Clothing et Yoga Jeans ont toujours été fabriqués au Québec, au départ rue Chabanel puis chez de gros fabricants en Beauce ou à Warwick.

« Les années 2000 ont été une période extrêmement difficile. Beaucoup d'usines de confection de vêtements ont fermé. La Beauce, qui était la capitale mondiale de la fabrication des jeans, a été secouée. » - Eric Wazana

« Un gros producteur comme le Groupe RGR qui fabriquait jusqu'à 160 000 jeans par semaine pour Lois, GAP ou Levi's a fermé ses cinq usines, dont la dernière en juillet 2011, mettant à pied 400 personnes. On était aussi un de leurs clients », se remémore Eric Wazana.

Le PDG de Yoga Jeans avait deux options : faire fabriquer ses jeans en Chine ou à Los Angeles. Une troisième possibilité était d'investir dans une opération manufacturière pour continuer la fabrication au Québec.

« Notre fournisseur nous a avisés en février qu'il allait fermer au début de l'été. On s'est retourné pour lancer une opération dans l'usine du groupe Confection de la Beauce, à Saint-Côme-Linière, qui avait fermé ses portes l'année précédente.

« On croit à certaines valeurs fondamentales. On voulait fabriquer au Québec et on savait qu'on serait gagnant sur le plan qualitatif. On a acheté l'usine et on a pu profiter de la meilleure main-d'oeuvre au monde en embauchant les travailleurs licenciés de chez RGR, des gens qui avaient 25, 30 ans d'expérience », souligne Eric Wazana.

VOLUME EN HAUSSE, NOUVEAUX MARCHÉS

Les activités de l'usine de Yoga Jeans ont débuté en octobre 2011 avec 28 employés. Entre 2011 et 2012, le volume des ventes du groupe a triplé.

Depuis 2012, le groupe affiche une hausse annuelle moyenne de 20 à 25 % de ses ventes. L'usine emploie aujourd'hui entre 80 et 100 travailleurs et leur nombre augmentera au cours des prochaines années alors que Yoga Jeans développe de nouveaux marchés.

« Notre marque est vendue dans un réseau de 1012 boutiques indépendantes en Amérique du Nord, dont certaines enseignes plus importantes comme Simons. »

« On a bâti des relations et maintenant on développe les marchés de l'Australie, du Japon et de certains pays d'Europe, dont l'Angleterre et les Pays-Bas. La prochaine étape, c'est la Chine et l'Asie qui vont devenir d'ici 10 ans le plus gros marché de Yoga Jeans. »

- Eric Wazana

Selon le PDG, il y a une demande en Asie pour les jeans haut de gamme qui sont fabriqués en Beauce à laquelle les manufacturiers chinois ne sont pas en mesure de répondre.

« On ne fait pas de gros volumes. On fait de la qualité. En un lot de jeans, nos couturières vont assembler 1000 morceaux plutôt que 25 000 et elles vont réaliser jusqu'à une quarantaine de coupes différentes par semaine plutôt que les deux ou trois qui sont faites dans les usines asiatiques », observe-t-il.

Le PDG convient que cela lui coûte de deux à trois fois plus cher de faire fabriquer ses jeans au Québec que dans un pays à faible coût, mais il précise que l'automatisation grandissante des opérations va réduire cet écart.

« Il y a surtout un savoir-faire qu'il faut conserver au Québec et qui nous permet de fabriquer en sous-traitance des produits pour des marques privées », ajoute le PDG de Yoga Jeans.

Photo Hugo-Sébastien Aubert, Archives La Presse

Yoga Jeans offre des produits haut de gamme qui se détaillent en magasin entre 139 $ et 200 $, selon les modèles.