Via Rail n'en peut plus d'être contrainte d'utiliser les lignes de chemin de fer des compagnies de transport de marchandises. Cette cohabitation l'empêche de réaliser le plein potentiel de ses activités et freine littéralement sa croissance, comme en témoigne son facteur de fiabilité qui s'est considérablement détérioré au dernier trimestre, ce qui risque d'affecter son achalandage.

C'est pour ces raisons que le nouveau PDG de Via Rail, Yves Desjardins-Siciliano, veut construire son propre réseau de chemins de fer réservé au transport des passagers et qu'il souhaite solliciter les grands investisseurs institutionnels pour financer en partie ce projet.

Popularité en hausse

Le transport par train en milieu urbain a connu une forte expansion au cours des 10 dernières années, particulièrement à Montréal et à Toronto où l'achalandage a été multiplié par trois.

Avec l'urbanisation qui s'étale toujours davantage et la congestion routière qui est toujours plus infernale, l'engouement pour ce mode de transport collectif n'est pas prêt de s'éteindre.

«Go Transit à Toronto et l'AMT à Montréal ont créé une habitude pour le transport par train chez leurs usagers qu'on voudrait bien diriger vers le transport intercité.

«Parce que la congestion n'affecte pas seulement les gens qui partent de la banlieue pour aller travailler en ville, mais elle mobilise le tiers du temps de transport quand on part de Montréal pour se rendre à Ottawa ou Toronto.

«C'est difficile d'entrer et de sortir de ces villes. Avec le train, on entre et on sort directement», observe Yves Desjardins-Siciliano, qui a pris la direction de Via Rail en mai dernier après y avoir occupé depuis 2010 les fonctions de chef des services corporatifs et secrétaire corporatif.

Si le PDG de Via Rail constate que la coordination entre les différents usagers des lignes de chemin de fer - Canadien National, Canadien Pacifique, Agence métropolitaine de transport, Via... - est efficace aux heures de pointe, il en va tout autrement durant les longs voyages.

Au cours des dernières années, l'accroissement du transport par rail de marchandises - notamment le blé et le pétrole - a densifié le trafic sur les voies ferrées qu'utilise Via Rail. Et l'achalandage de Via a lui aussi augmenté. Cette hausse de volume nuit à la fluidité des réseaux puisque les deux transporteurs ne fonctionnent pas de la même façon.

«Nos trains de passagers peuvent rouler à 180 km/h, tandis que les trains de marchandises se déplacent à une vitesse qui varie de 60 à 80 km/h.

«Nos trains sont constamment obligés de freiner et ils roulent à une vitesse moyenne de 110 km/h plutôt qu'à 180. Au cours du dernier trimestre, notre facteur de fiabilité, un facteur déterminant pour notre taux d'achalandage, est passé de 83% à 75%. Quand tu n'es pas fiable, les clients ne reviennent pas», déplore le PDG.

En d'autres mots, une fois sur quatre, Via Rail n'arrive pas à respecter ses horaires parce que ses wagons sont freinés par des convois de marchandises qui peuvent atteindre jusqu'à trois kilomètres de longueur.

Une occasion de transformation majeure 

C'est pour cette raison que Via Rail compte mettre sur pied son propre réseau réservé au transport de passagers sur la ligne Montréal-Ottawa-Toronto, qui s'étire sur 600 kilomètres et qui génère le plus fort achalandage avec ses 2,1 millions de passagers par année.

La dernière des innombrables études sur la faisabilité d'établir une liaison de train rapide entre Montréal et Toronto estimait à 9 milliards le coût de construction d'une telle voie ferrée dédiée.

«Les coûts de construction d'une voie ferrée pour nos trains qui roulent à 180 km/h serait le tiers de celui d'un lien rapide, soit 3 milliards. Si on élargissait le corridor pour y inclure Québec et Windsor, en Ontario, le coût serait d'un peu plus de 6 milliards», évalue le PDG.

Selon Yves Desjardins-Siciliano, Via Rail serait en mesure de tripler en cinq ans l'achalandage sur cette voie performante.

«Nos coûts d'opération seront les mêmes, mais on va tripler nos revenus. On va arriver à réduire notre dépendance aux subventions fédérales et à assurer un rendement aux institutions qui vont financer le projet», précise-t-il.

À titre de société de la Couronne, Via Rail dépend lourdement du financement d'Ottawa. Sur un budget d'exploitation de 550 millions, le gouvernement fédéral prend à sa charge le déficit de 300 millions que produit la société d'État.

«Les gens aiment prendre le train. On réduit l'empreinte environnementale, on décongestionne les routes et on assure la connectivité des villes», rappelle le président de Via Rail.

Il observe que les grandes caisses de retraite sont à la recherche d'investissement dans les projets d'infrastructures et il entend entreprendre prochainement une série de rencontres pour sonder leur intérêt à l'endroit d'un nouveau chemin de fer.

Tout comme il entend solliciter le gouvernement fédéral, les provinces et les municipalités pour qu'ils participent à la mise en place de cette nouvelle infrastructure.

«Les transporteurs ferroviaires de passagers de tous les pays profitent d'un financement public, certains jusqu'à hauteur de 100%. Nous, on veut augmenter notre base de revenus pour réduire la subvention fédérale qui finance présentement 53% du prix du billet de chaque passager.»

Yves Desjardins-Siciliano souligne par ailleurs qu'il s'agit d'un projet hautement mobilisateur pour Via Rail qui cherche à stimuler l'achalandage sur son réseau qui est présentement en stagnation.

«C'est une opportunité de transformation majeure pour Via Rail et pour l'ensemble de la société qui va pouvoir compter sur un moyen de transport rapide, sécuritaire et écologique», estime-t-il.