Comme plusieurs centaines de personnes, Pierre Pomerleau va participer lundi à la grande journée de mobilisation «je vois mtl» où l'on discutera de la réalisation prochaine de dizaines de projets qui permettront de dissiper un peu le nuage de morosité qui enveloppe Montréal. Le PDG de Pomerleau ne souhaite pas seulement le réveil de la métropole, il espère aussi que le Québec entier se sorte de l'inertie qui paralyse l'activité économique depuis plus de deux ans.

Les travaux de la commission Charbonneau ont officiellement pris fin hier avec le discours de clôture qu'a prononcé la juge France Charbonneau. Discours dans lequel elle a notamment déploré que l'ensemble de l'industrie de la construction au Québec avait été éclaboussé par les cas de corruption et de collusion qui ont été mis au jour pendant les travaux de la Commission, alors que, dans la réalité, il ne s'est agi que d'une minorité de ses acteurs qui se sont comportés de façon systématiquement malhonnête.

C'est exactement ce que m'avait confié trois jours plus tôt, sur le ton de l'exaspération, Pierre Pomerleau, PDG de Pomerleau, le plus gros acteur de l'industrie de la construction au Québec, lorsque je lui ai demandé comment il se faisait que le nom de son entreprise ne soit jamais sorti durant les deux ans et demi de la commission Charbonneau.

«Il y a 25 000 entrepreneurs en construction au Québec et ils sont tous devenus suspects. Essayez de me donner le nom de 10 entreprises de construction qui ont comparu durant les audiences de la Commission? Aucune des entreprises d'importance comme Pomerleau, Magil, Alliance, Broccolini n'ont été accusées de quoi que ce soit. Mais depuis deux ans, on est comme pris en épingle», déplore Pierre Pomerleau.

Depuis le début de la Commission, le volume de nouveaux chantiers a passablement diminué, et l'exécution des projets en cours s'est considérablement alourdie en raison de la paralysie soudaine qui a gagné les décideurs des secteurs public et parapublic.

«Quand tu opères un chantier, tu dois prendre des décisions rapidement. Un imprévu qui implique une dépense de 100 000$ peut rapidement se transformer en coût additionnel de 2 millions si tu ne fais pas le correctif à temps.

«Il n'y a plus de décisions qui se prennent. Je dois financer moi-même les imprévus et espérer être payé plus tard. Mais cela écarte beaucoup de joueurs qui n'ont pas la capacité de financer eux-mêmes les travaux», souligne Pierre Pomerleau.

Cette inertie et le report dans le temps de plusieurs dépenses en infrastructures ont créé un surplus de capacité dans l'industrie de la construction au Québec.

«Le projet de construction d'une école de 15 millions va amener au moins 25 entreprises à soumissionner. Les gens se cherchent de l'ouvrage, ils veulent occuper leur monde. C'est ce facteur qui explique pourquoi les coûts ont baissé de 30% depuis deux ans», évalue le PDG de Pomerleau.

Pierre Pomerleau rappelle que l'industrie de la construction compte pour 20% du produit intérieur brut québécois et qu'elle est responsable d'un emploi sur cinq au Québec.

Une donnée dont il faut tenir compte quand on constate que la croissance économique est plus faible au Québec qu'ailleurs au Canada et que le Québec a perdu 100 000 emplois à temps plein depuis un an.

Vaincre les crises

Malgré des temps plus difficiles, Pomerleau a réalisé un chiffre d'affaires record de 1,7 milliard à son dernier exercice financier. Le groupe est présent dans la gestion de projets et la construction dans les secteurs commercial, industriel et institutionnel.

Pomerleau a des bureaux au Québec, dans les Maritimes, à Terre-Neuve-et-Labrador, en Ontario et en Colombie-Britannique et emploie 1000 personnes sur une base permanente et jusqu'à 4000 personnes lorsqu'on inclut ses effectifs sur les chantiers.

Pierre Pomerleau a pris la relève de son père Hervé en 1997, lorsque l'entreprise émergeait de l'une des pires crises de l'industrie de la construction et du secteur immobilier au Québec.

«De 1992 à 1997, ç'a été cinq années difficiles. Notre chiffre d'affaires était passé à l'époque de 200 à 100 millions. Et on était une entreprise diversifiée.

«C'était la mode dans les années 80, on faisait des meubles, du béton, le groupe était dans l'hôtellerie, l'immobilier, les planchers en marbre. J'ai décidé de revenir à notre fonction d'entrepreneur général, le meilleur de notre identité», rappelle-t-il.

Depuis le début des années 2000, Pomerleau s'est spécialisé dans les gros projets de construction avec trois façons de faire: sur plans et devis lors d'appels d'offres, en gestion de construction et, enfin, en mode conception-construction en partageant la responsabilité d'un projet à plusieurs.

«On a fait trois projets en partenariat public-privé [PPP] qui ont été complétés, dont le Centre de recherche du CHUM, et on en a trois qui sont présentement en voie de réalisation», relève Pierre Pomerleau.

L'entrepreneur général ne cache pas qu'il préfère les PPP, même si ce modèle le force à assumer une plus grande part des risques financiers.

«La beauté du 3P, c'est qu'il force le client à bien définir son projet. Tout doit être pensé et prévu. Et nous, ça nous oblige à la discipline. Le Centre de recherche du CHUM, on l'a livré en 48 mois, selon l'échéancier. Il n'y a eu aucun dépassement de coûts», précise-t-il

Au fil des ans, l'entreprise a développé de nouveaux champs d'expertise où elle s'est imposée comme un acteur majeur. C'est le cas dans le secteur de l'éolien, où elle a réalisé l'implantation de 33% de tous les parcs éoliens au Canada, dont 50% du projet de la Seigneurie de Beaupré.

Pierre Pomerleau confirme qu'il a étudié la possibilité d'acquérir les entreprises de construction que Tony Accurso a mises en vente l'an dernier, mais il a rapidement conclu qu'il n'en tirerait aucun avantage.

«Les carrières, on ne connaît pas ça, et ça ne nous intéressait pas. Dans le secteur de la construction, on s'est rapidement rendu compte que l'on aurait cannibalisé notre propre entreprise. Acheter Louisbourg Construction ne nous aurait donné aucun avantage particulier, alors pourquoi le faire?», conclut le PDG.