En poste depuis 18 mois à la tête du groupe de quincailleries Rona, Robert Sawyer relève le plus grand défi de sa carrière. Pour la première fois depuis sa nomination, il explique en entrevue les motivations qui l'ont amené à se lancer dans cette aventure et comment il compte réussir sa mission. Jean-Philippe Décarie l'a rencontré sur les verts.

Robert Sawyer ne prend pas de détour. Si on ne lui avait pas offert le défi de présider au redressement de la chaîne de quincailleries Rona, il serait fort probablement à la retraite ou en processus de départ progressif de Metro, où il a oeuvré durant 33 ans. «J'avais pas mal fait le tour chez Metro quand on m'a sollicité pour participer à la relance d'une grande marque québécoise. J'ai vu ça comme le grand défi de ma vie», confesse le PDG de Rona.

Cela fait maintenant 18 mois que Robert Sawyer est à la barre de Rona pour orchestrer le redressement qu'exigeaient ses principaux actionnaires à la suite de la très dure récession de 2008-2009 et d'une tentative avortée de prise de contrôle par le groupe américain Lowe's.

En novembre 2012, le conseil d'administration de Rona a laissé tomber Robert Dutton, son PDG des 20 dernières années, avant de subir une importante transformation qui a conduit Robert Chevrier à la présidence exécutive du conseil.

«C'est Robert Chevrier qui m'a contacté directement pour me rencontrer. Pas un chasseur de têtes. Il me voyait comme celui qui pouvait relancer Rona. C'était un grand honneur pour moi. Rona est une grande marque nationale, il n'y en a pas beaucoup comme ça.

«Robert Dutton a fait un travail incroyable. En 10 ans, il a bâti une entreprise pancanadienne avec un branding fort. On ne peut pas perdre ça», constate Robert Sawyer, rencontré dans le cadre d'une ronde de golf la semaine dernière, avant le dévoilement des derniers résultats financiers de Rona.

C'est la première entrevue qu'accorde Robert Sawyer depuis qu'il a pris la direction de la chaîne de quincailleries, encore ébranlée par l'implacable récession de 2008-2009.

«Je n'aime pas être en vedette, avance le PDG, mais, surtout, je n'avais rien à dire. Il a fallu que je plonge dans les opérations pour comprendre cette entreprise qui est unique avec ses magasins de proximité, ses grandes surfaces, ses magasins spécialisés, ses usines de charpentes de toitures...

«On a mis un plan en marche et on commence à voir les résultats. Je me donne trois à quatre ans pour compléter le redressement et relancer l'expansion de Rona, et après ça, je vais laisser la place à un autre», prévient l'homme de 61 ans.

Si le PDG ne pouvait dire à quoi allaient ressembler les derniers résultats de Rona, son langage non verbal indiquait que la situation semblait s'améliorer malgré un début de trimestre difficile. De fait, Rona est revenu dans le vert malgré des ventes comparables en baisse.

Des débuts difficiles 

Les premiers mois chez Rona n'ont pas été faciles pour Robert Sawyer. Il faisait face à des employés et à des marchands inquiets qui avaient un grand attachement pour l'ex-PDG Robert Dutton, alors que lui avait un mandat bien clair à réaliser.

«Au début, je n'étais pas beaucoup à l'écoute des marchands. Je leur ai dit que ce n'étaient pas eux qui m'avaient nommé, mais le conseil d'administration. Les six premiers mois ont été difficiles, puis on a mis des comités en place, on s'est parlé et, surtout, on a réduit les coûts des matériaux, la grande demande des marchands», explique-t-il.

Robert Sawyer connaît bien cette culture puisque chez Metro, il faisait aussi affaire avec des marchands-propriétaires. Mais chez Rona, il fallait corriger une tendance qui n'était plus financièrement tolérable.

«Depuis 2007, chaque année, les ventes des magasins Rona comparables étaient en régression. Chez Réno-Dépôt, les baisses étaient de 8 à 10% par année, depuis trois ans», expose-t-il.

Lorsqu'il est arrivé en poste, en avril 2013, la direction avait déjà scénarisé un plan de coupes de 40 millions. Un mois plus tard, il a demandé à ses cadres de tripler à 110 millions les économies à réaliser.

«Ce n'est pas agréable à faire, mais je n'avais pas le choix. Je voyais bien qu'on avait des vents de face, et 40 millions, ce n'était pas suffisant.

«On a supprimé 325 postes administratifs à Boucherville, Toronto et Calgary. On a fermé 11 magasins en Ontario, on a fermé 4 entrepôts, on a coupé les publicités à la télé», énumère-t-il.

Relancer la machine 

En janvier, l'entreprise a réalisé la rénovation de son premier magasin Réno-Dépôt. En juin, la totalité des 16 magasins de cette enseigne avaient complété leur cure de jouvence avec un service amélioré, une meilleure expérience de magasinage et une offre de produits accrue.

«On voit déjà des progrès. On a aussi ajouté dans les allées des produits consommables: des paquets de 60 rouleaux de papier de toilette, des gallons de Windex, des caisses de bouteilles d'eau, tout ça aux mêmes prix que chez Costco.

«On veut être plus opportunistes avec nos clients. On veut qu'ils reviennent. Canadian Tire vend du sucre dans ses magasins! Pourquoi on ne vendrait pas des poches de moulée pour chiens?», avance le spécialiste du détail.

Le concept des Réno-Dépôt fonctionne à telle enseigne que Robert Sawyer compte bien l'exporter en Ontario. Rona ouvrira des nouveaux magasins dans certains des 11 commerces à grande surface qui ont été fermés et dont les locaux sont toujours inoccupés.

Le PDG constate tout de même que les consommateurs du Québec et de l'Ontario sont nettement plus frileux que ceux de l'Ouest canadien, où Rona réalise 30% de ses revenus. Rona doit aussi composer avec des concurrents américains aux poches profondes. «Notre capitalisation boursière est à 1,4 milliard. On se bat contre Home Depot, qui vaut 112 milliards US, et Lowe's et ses 50 milliards US», illustre-t-il.

Mais Robert Sawyer est d'avis que Lowe's ne constitue plus une menace pour Rona. Avec sa trentaine de magasins canadiens, le groupe américain cumule des pertes de 75 millions, évalue-t-il. Comme le groupe Target, Lowe's constate aujourd'hui que le marché canadien n'est pas gagné d'avance.

«Nous, on veut reprendre de l'expansion. Dès que nos opérations seront stabilisées, on va faire des acquisitions et des regroupements. Il y a des groupes au Québec, comme les quincailleries Patrick Morin, qui pourraient très bien se joindre à Rona», anticipe maintenant Robert Sawyer.

Un «opérateur» qui s'élance 

Robert Sawyer se décrit comme un «opérateur», quelqu'un qui met la main à la pâte et qui n'attend pas que les résultats tombent du ciel. Il a tout à fait la même attitude au golf.

Lorsque Robert Sawyer arrive à sa balle, il s'installe, regarde le fanion, prend un bref élan d'entraînement et «pow!», il frappe quasi instantanément son projectile avec une belle puissance. Ça y va aux toasts et ça niaise pas, comme on dit.

«J'ai travaillé et j'ai eu pour mentor Pierre H. Lessard durant près de 20 ans. J'étais son vice-président opérations pour le Québec, et c'est là que j'ai tout appris du commerce de détail», explique le PDG de Rona.

«J'ai travaillé avec Pierre H. Lessard et Eric R. La Flèche, et les deux ont fait des études avancées à Harvard. Moi, je n'ai pas été à Harvard, mais je suis un sacré bon opérateur.»

Au golf, c'est pareil. Robert Sawyer n'a pas suivi de cours et il n'en suivra pas. Il a appris en s'entraînant, et il sait qu'il jouera beaucoup mieux lorsqu'il s'entraînera plus souvent. D'ici là, il prend quand même un grand plaisir à toujours chercher à s'améliorer, comme l'auteur de ces lignes...