Passionné de science, sans cesse assoiffé de nouvelles connaissances, Lorne Trottier a consacré sa vie à élaborer des solutions technologiques novatrices qui ont contribué à l'avènement de la révolution numérique. La société Matrox - qu'il a cofondée en 1976 et qui est devenue un leader mondial dans la conception d'applications informatiques d'imagerie graphique - innove encore et est sur le point de lancer une autre innovation.

«Être en affaires depuis 35 ans dans le monde des technologies, ça implique que vous avez vécu plusieurs existences, mais c'est ma vie et c'est ça qui me passionne toujours. En fait, je suis un geek», me confie l'entrepreneur techno dans son bureau du campus Matrox à Dorval.

Son bureau n'a d'ailleurs rien de l'antre feutré et parfumé du PDG classique. Lorne Trottier n'a pas de secrétaire, et il faut passer à travers un dédale de cubicules où s'activent des ingénieurs pour trouver sa porte.

J'ai l'impression d'entrer dans le local d'un professeur de physique de troisième cycle où trônent des piles de documents et dont les murs sont tapissés de photos et de cadres qui relatent presque tous l'odyssée de la conquête spatiale américaine. Deux sarraus bleus sont accrochés à une patère.

Lorne Trottier a fait parler de lui la semaine dernière lorsque Polytechnique Montréal a annoncé la création de l'Institut de l'énergie Trottier grâce à un don de 10 millions qu'il a fait à l'institution.

Discret de nature, Lorne Tottier a toujours fui les médias. Matrox étant une entreprise privée, il a ainsi jalousement profité de l'anonymat que lui conférait le statut corporatif de son entreprise. Il a accepté cette semaine de faire entorse à son habitude et de nous parler de son parcours singulier.

«Je suis discret, mais mon partenaire [Branko Matic, cofondateur et copropriétaire de Matrox] est encore pire que moi», précise toutefois l'entrepreneur et philanthrope montréalais.

Aux premières loges de la révolution

Diplômé en génie électronique de l'Université McGill, Lorne Trottier a travaillé quelques années chez Marconi qui développait notamment des systèmes de communications par radar lorsque, en 1976, son partenaire et lui décident de fonder Matrox.

«C'était le début des mini-ordinateurs et mon partenaire avait développé une carte graphique qui permettait de mettre du texte sur des écrans de télé. Cette interface de contrôle vidéo permettait d'afficher les données des satellites sur les mini-ordinateurs. On était les premiers au monde à faire ça.

«Dans les années 80, on a mis au point un système d'apprentissage par ordinateur à partir de disques au laser. Ça nous a permis de créer les premiers simulateurs, et l'armée américaine nous a donné le contrat pour ses programmes de formation», relate Lorne Trottier.

Le fait qu'une entreprise de technologie canadienne devienne le principal fournisseur de l'armée américaine avait beaucoup fait jaser à l'époque. Même si la technologie ne servait qu'à la formation des troupes, plusieurs ont identifié Matrox comme une entreprise militaire, ce qui a nui à son image, selon le PDG.

Parallèlement à cette percée industrielle, Matrox a profité de l'explosion des ventes de PC des années 80 et 90 en développant des cartes graphiques qui permettaient d'augmenter les images vidéo sur les écrans d'ordinateur, accaparant jusqu'à 20% du marché mondial de ces applications.

Durant les années 90, Matrox employait 1800 personnes et réalisait des ventes de 700 millions US; le dollar canadien ne valait alors que 65 cents US...

L'évolution technologique a amené l'entreprise à délaisser ce marché de masse, et Matrox se concentre depuis les années 2000 sur le développement d'applications industrielles.

«C'est sûr qu'on a réduit notre taille, mais malgré les changements de marché, l'entreprise a toujours été rentable et on emploie toujours 700 personnes à Dorval», explique Lorne Trottier.

Matrox compte aujourd'hui trois grandes divisions: l'informatique graphique, la vidéo et l'imagerie et, enfin, la vision par machine où l'entreprise ne développe rien de moins que des yeux pour les robots.

«Après 35 ans, on est rendus à notre septième cycle d'innovation. C'est une nouvelle existence et cette fois, on travaille au développement d'une puce qui va nous amener dans un nouveau marché.

«Mon travail, c'est d'encadrer la recherche et le développement. C'est ce que j'ai toujours fait, c'est ma passion des sciences et de l'innovation qui m'anime encore et toujours», résume le PDG-chercheur.

La règle de 50%

Cette fascination qu'il a de vouloir comprendre le monde, Lorne Trottier veut maintenant la partager avec les autres. C'est la raison pour laquelle il a fait ce don de 10 millions à Polytechnique pour la création d'un Institut sur l'énergie.

L'institut en question aura notamment pour mandat de documenter scientifiquement le débat entourant les changements climatiques, une préoccupation que la fille de Lorne Trottier lui a transmise.

«Il faut sortir l'idéologie du débat sur les changements climatiques et l'asseoir sur des fondements scientifiques. L'Institut se penchera sur ces questions, ainsi que sur les énergies vertes», précise le chercheur.

Ce don à Polytechnique est le deuxième que réalise Lorne Trottier. Il avait déjà fait une contribution de 2 millions en 2005, tout comme il a doté le département de génie de l'Université McGill, son alma mater, d'une somme de 22 millions entre 2000 et 2006 pour la création d'un pavillon et la constitution d'une chaire de recherche, semblable à celle de Poly.

«J'estime que les gens qui réussissent doivent participer à la réussite des autres. Bill Gates a donné l'exemple lorsqu'il a demandé aux gens fortunés de redonner 50% de leur fortune accumulée à différentes causes. Depuis, il a décidé de donner plus, mais la règle de 50% reste, selon moi, la norme que tous les gens riches devraient suivre», propose bien humblement le philanthrope.