Après 10 années de crise à peu près ininterrompue, l'industrie forestière québécoise entrevoit enfin un faisceau lumineux émerger du long tunnel de la rationalisation. La société Tembec, qui a été à deux doigts d'être engloutie par la faillite en 2008, vient d'enregistrer deux trimestres consécutifs de rentabilité avec ses activités de production de bois d'oeuvre, du jamais vu en cinq ans, souligne avec insistance son PDG, James Lopez.

Comme la plupart des producteurs forestiers québécois et canadiens, Tembec n'a pas eu la vie facile au cours des 12 dernières années. Ses activités de production de papier journal et celles à titre d'important producteur de bois d'oeuvre ont été frappées par deux crises parallèles, mais tout aussi incisives.

«De 2000 à 2012, la demande mondiale de papier journal a tout simplement été réduite de 50%. Le processus s'est accéléré entre 2006 et 2010, alors qu'on enregistrait des baisses de consommation annuelle de l'ordre de 15 à 20%.

«Depuis deux ans, le marché se stabilise, mais la demande continue de se contracter de 7% par année», observe James Lopez, qui oeuvre depuis 24 ans chez Tembec où il occupe depuis sept ans les fonctions de PDG.

«En 2000, on produisait 500 000 tonnes de papier journal par année; aujourd'hui, on en produit 240 000 tonnes. Tous les producteurs de papier journal ont été frappés comme nous par la numérisation de l'économie», constate James Lopez.

Plusieurs quotidiens régionaux, clients de Tembec, qui publiaient six ou sept éditions hebdomadairement ont réduit leur production sur support papier à trois parutions par semaine.

Cette transformation de marché a forcé la fermeture de l'usine de papier journal de Tembec en Saskatchewan et a réduit de quatre à deux les machines à papier de ses installations au Manitoba.

À partir de 2005, mais de façon plus marquée l'année suivante en 2006, Tembec a été frappée et d'aplomb par l'éclatement de la bulle immobilière aux États-Unis. Important producteur et exportateur de bois d'oeuvre sur le marché américain, le groupe québécois a vu son principal marché s'effondrer lamentablement.

«Le marché américain roulait avec 1,5 million de mises en chantier par année. À partir de 2006 et jusqu'à encore tout récemment, on est tombé à 600 000 mises en chantier de maisons par année. Ça été tout un choc à absorber et il a fallu rationaliser», explique le PDG.

Résultat, Tembec, qui réalisait des revenus annuels de 3 milliards par année en 2000, a terminé l'exercice financier 2012 avec des revenus de 1,6 milliard.

L'entreprise a failli être emportée par la faillite en 2008, lorsque ses créanciers et actionnaires ont accepté un audacieux plan de redressement qui transformait en actions ordinaires sa dette de 1,4 milliard. Depuis mars 2008, la valeur des actions de la «nouvelle» Tembec a oscillé entre 50 cents et 6$. Le titre a terminé la semaine légèrement au-dessous de 3$.

L'entreprise, qui a déjà compté plus de 11 000 personnes, en recense aujourd'hui 4000.

Le miracle de la cellulose

«Malgré ce contexte difficile, on a annoncé l'an dernier un investissement de 310 millions dans notre usine de Témiscaming où on produit de la pâte de cellulose de spécialité, fabriquée à partir de copeaux de bois», souligne James Lopez.

Cette activité industrielle de transformation forestière très pointue génère aujourd'hui le tiers du chiffre d'affaires de Tembec, soit plus de 500 millions de dollars par année.

Le groupe québécois est l'un des trois principaux producteurs mondiaux de pâte de cellulose, un produit dont les applications industrielles ne cessent de se multiplier.

«La pâte de cellulose est utilisée dans l'industrie pharmaceutique, alimentaire, électronique, la peinture, dans la fabrication des produits chimiques, des cosmétiques, des explosifs, c'est un liant naturel dont on n'a pas fini de découvrir de nouvelles applications», explique James Lopez.

«Cet investissement qui va moderniser notre usine de Témiscaming est le plus important investissement des 20 dernières années dans l'industrie des pâtes et papiers au Canada, ce n'est pas rien», insiste le PDG.

D'ici deux ans, l'usine de Témiscaming va produire 10 000 tonnes de pâte de cellulose additionnelles auxquelles vont s'ajouter 30 000 tonnes de plus en 2017.

«Une fois la modernisation terminée, l'usine de Témiscaming, qui est déjà rentable, va générer 80 millions de revenus additionnels à Tembec, incluant les surplus d'électricité que l'on va vendre à Hydro-Québec», précise James Lopez.

À cet égard, le PDG de Tembec n'a aucune gêne à déclarer que la vente de surplus d'électricité à Hydro va être une activité à valeur ajoutée pour Tembec.

«À Témiscaming, Hydro doit acheter 40% de son électricité à l'Ontario. Ça coûterait trop cher à Hydro-Distribution de nous relier au réseau. Notre production va remplacer celle qu'Hydro vendait à Hydro-Ontario et qu'elle rachetait pour desservir notre municipalité de 3000 habitants», expose James Lopez.

Le PDG de Tembec ne cache pas qu'il rêve à des jours meilleurs. Il observe la reprise des nouvelles mises en chantier aux États-Unis et les deux trimestres consécutifs de rentabilité qu'a enregistrés sa division de bois d'oeuvre.

«Il y a des analystes aux États-Unis qui entrevoient la mise en place d'un supercycle de mises en chantier qui va venir combler le décalage des huit dernières années. Je ne base pas mes prévisions de revenus là-dessus, mais ça fait plaisir à entendre», constate-t-il. James Lopez n'a plus l'oeil sur l'arbre, mais il scrute résolument la forêt.