Robert Dutton célèbrera le mois prochain sa 35e année comme employé de la chaîne de magasins RONA, dont les 20 dernières à titre de PDG du groupe. Loin de s'éteindre, sa passion du commerce au détail et de la quincaillerie n'a jamais été aussi forte. «J'ai démissionné de tous les conseils d'administration où je siégeais parce que je me suis rendu compte que j'aime RONA au-dessus de tout et que c'est ici que je peux faire une différence», confesse-t-il.

Pour la petite histoire, il faut rappeler que Robert Dutton, le fils d'un quincailler RONA de Laval, a fait son entrée au siège social de la coopérative de marchands en juin 1977. À 22 ans, fraichement diplômé des HEC, c'est un peu à reculons qu'il a accepté l'invitation d'André Dion, le PDG de l'époque.

Il prend toutefois rapidement goût aux défis qu'on lui demande de relever et il devient à 28 ans vice-président du marketing et du développement, avant de prendre la présidence du groupe en 1992.

«J'ai toujours été le jeune dans l'organisation. Mais là, à 57 ans, je vois les représentants de la troisième génération de marchands RONA prendre leur place et ça m'allume.

«À force de les côtoyer, tous les préjugés que je pouvais avoir envers les jeunes de la génération Y ont disparu. Ils sont passionnés, ils veulent faire bouger les choses, ils sont de vrais entrepreneurs», observe Robert Dutton que nous avons rencontré au lendemain de l'assemblée annuelle des actionnaires de RONA.

Fasciné par l'émergence de ces nouveaux talents, Robert Dutton a instauré depuis 2009, les Camps du président. Une fois par année, il s'enferme durant quatre jours avec une soixantaine de jeunes pour discuter du modèle d'affaires de RONA et surtout pour les écouter.

«Ils ont entre 20 et 35 ans. Une quarantaine sont des enfants de marchands qui vont prendre leur relève, une dizaine proviennent de nos magasins et une autre dizaine du siège social. Ces rencontres me passionnent vraiment, on prépare le tournant de RONA. Elles ont tellement de succès que certains marchands de 65 ans m'ont demandé de faire le même exercice avec eux. Ce qu'on a fait», explique en riant Robert Dutton.

Pour la seule année 2011-2012, ces jeunes marchands de la troisième génération vont investir 110 millions dans leur entreprise, ce qui n'est pas rien.

Un gros chantier

Ces exercices de remises en question font aussi partie du vaste chantier de rénovation qu'a entrepris RONA depuis l'annonce en février dernier de la fermeture de 10 magasins-entrepôt et l'ouverture d'au moins 25 nouveaux magasins-satellite de plus petite taille.

«On a beaucoup étudié le marché. Les clients venaient dans les magasins-entrepôt essentiellement pour la variété des produits qu'ils y trouvaient. Ils venaient voir 35 sortes différentes de robinets. Mais maintenant, ils peuvent en examiner plus de 250 sur internet. Ce qu'ils recherchent, c'est du service et de la proximité», expose le PDG.

RONA compte donc fermer 10 de ses 80 magasins-entrepôt, principalement en Ontario et en Alberta et ouvrir des plus petits magasins. Robert Dutton donne l'exemple de Mississauga où RONA avait trois méga-magasins et deux magasins satellite. On a fermé deux grosses boîtes mais on a ouvert deux magasins de proximité et quatre nouveaux magasins satellite.

«L'idée, c'est de multiplier les points de contacts avec la clientèle et de lui donner plus de service. Il ne se construira plus de magasins-entrepôt parce qu'il ne se construira plus de «Power Center» au Canada. C'est un concept révolu. Mais plusieurs détaillants américains sont très intéressés par les méga-magasins que l'on ferme. On ne perdra pas d'argent avec cette opération», estime Robert Dutton.

Si RONA ne fera aucune fermeture de grandes surfaces au Québec, le groupe continuera d'ouvrir des centres de proximité.

«Le marchand RONA qui a les magasins-entrepôts de Saint-Bruno et du Dix30 vient d'ouvrir un magasin de proximité à Beloeil. Tout le monde croît à notre modèle», précise-t-il.

Une OPA hostile bien improbable

Si Robert Dutton a bien expliqué lors de l'assemblée annuelle des actionnaires que RONA n'était pas à vendre et que personne au Canada n'avait avantage à ce que son groupe soit acheté par le concurrent américain Lowe's, il confesse en entrevue que l'éventualité d'une OPA était fort improbable.

«Lowe's n'a que des magasins de grandes surfaces. On ne cadre pas dans leur modèle. S'ils veulent nous acheter, nos marchands franchisés ont clairement indiqué qu'ils quitteraient le groupe.

«Mais la vraie raison pour laquelle il n'y aura pas d'OPA, c'est que les activités de RONA sont syndiquées au Québec. Et ça, les Américains n'acceptent pas ça et je dis merci aux syndicats», expose Robert Dutton.

«On est le seul groupe dans le secteur de la quincaillerie qui supporte les manufacturiers canadiens. Plus de 80% de nos achats sont faits auprès d'entreprises canadiennes.

«C'est 3,4 milliards d'achats canadiens (1,9 milliard au Québec) qu'on réalise chaque année alors que Lowe's et Home Depot réalisent 80% de leurs achats aux Etats-Unis. Ils n'achètent pas leur peinture chez SICO ou leurs clous chez Deschênes et Fils. Nous, on le fait», tranche le PDG de RONA.

Non, vraiment, à la lumière des explications de Robert Dutton, une OPA initiée par Lowe's semble effectivement tout à fait improbable.