«Nous voyons un très bel avenir dans l'industrie du bois d'oeuvre en Ontario, et surtout, au Québec.»

Des phrases du genre, avouez qu'il y a longtemps que vous n'en avez pas entendues. C'est pourtant le discours que tient Rick Doman, président et chef de la direction d'Eacom Timber Corporation.

Et il ne s'agit pas seulement de belles paroles.

Jusqu'à tout récemment, Eacom était une petite entreprise de Colombie-Britannique inscrite à la Bourse croissance de Toronto qui ne possédait qu'une seule scierie, et en arrêt de production de surcroît.

Mais le 1er juillet dernier, M. Doman et son équipe ont officiellement avalé la division Produits forestiers de Domtar.

Sept scieries de Domtar, dont celles de Matagami, Val-d'Or et Sainte-Marie, au Québec, sont passées aux mains d'Eacom. L'entreprise a aussi acquis l'usine de transformation de bois de Sullivan, au Québec, ainsi que la participation de Domtar dans une scierie et une usine ontariennes.

Encore des actifs dont la propriété quitte le Québec? Non. Parce que cette fois, c'est l'acheteur qui déménage. Eacom est en train de relocaliser son siège social à Montréal. Et Rick Doman, natif de la Colombie-Britannique, magasine actuellement une maison dans la métropole québécoise.

Mais que diable peut bien pousser un homme à investir dans le bois quand le secteur défraie les manchettes pour ses déboires?

Rick Doman a une panoplie de réponses à cette question, chacune d'entre elles étayée par un arsenal de chiffres et de statistiques.

Et c'est flanqué de Jean-François Mérette, ancien dirigeant de la division forestière de Domtar devenu vice-président de l'exploitation chez Eacom, qu'il a accepté de partager sa vision avec La Presse Affaires.

Avec un peu d'aide des insectes

Ironiquement, l'une des principales raisons pour lesquelles M. Doman vient d'investir dans l'Est du Canada provient de sa province natale... et n'est pas plus grosse qu'une tête d'épingle. Son nom: le dendroctone du pin ponderosa, un insecte en train de ravager les forêts de l'intérieur de la Colombie-Britannique.

«Plusieurs scieries ont connu des réductions de production au cours des dernières années, constate comme tout le monde M. Doman. Pourquoi? D'abord à cause de l'effondrement du marché résidentiel américain. Mais on oublie souvent le fait que les scieries de la Colombie-Britannique ont aussi été en surproduction.»

Ses observations se résument simplement. En voyant leurs arbres se faire infester par les insectes, les bûcherons de la Colombie-Britannique se sont dépêchés de récolter le maximum de bois possible, déversant un surplus d'offre dans un marché où la demande s'atrophiait.

Mais M. Doman voit le jour où la situation s'inversera. Selon ses prévisions, la Colombie-Britannique devra réduire sa production annuelle de 20 millions de mètres cubes d'ici 3 à 5 ans. Et 20 millions de mètres cubes, c'est l'équivalent de tout le bois qui se récolte au Québec en un an.

Pire: toujours selon Rick Doman, une bonne partie du bois qui sera récolé là-bas sera de moindre qualité à cause du dendroctone et sera expédié en Asie plutôt qu'aux États-Unis.

«Notre vision, c'est que quelque part entre maintenant et 2015, il pourrait y avoir jusqu'à 8 milliards de pieds mesure de planche qui ne traverseront plus le Canada pour passer ici et aller dans les marchés que nous fournissons. Nous pensons que ce déclin va être compensé par des scieries comme celles de Val d'Or, Matagami, Sainte-Marie...»

Reste la situation américaine. Là-bas, la crise des hypothèques à risque a inondé le marché de maisons inoccupées, stoppant la construction de maisons neuves et donc la demande de bois. Mais M. Doman croit que ça ne durera pas éternellement.

«On pense que le marché résidentiel aux États-Unis va finir par reprendre. Peut-être que ce ne sera pas avant 2011-2012, mais la démographie montre qu'entre 1,3 et 1,6 million de ménages américains se forment chaque année. En chaque ménage est un futur acheteur potentiel de maison.»

Bref, Eacom croit à la reprise et veut se positionner pour en profiter. Mais pour ça, elle admet qu'elle devra abaisser les coûts de production de ses scieries. Encore des coupes de salaire en vue pour les travailleurs?

«Non. Ça, c'est déjà fait», tranche M. Doman, qui souligne que Domtar s'est entendue avec ses travailleurs récemment. Lui parle plutôt d'investir en équipement. Et affirme en avoir les moyens.

Il faut dire qu'Eacom n'a pas payé cher pour les actifs de Domtar - 126,5 millions en tout, beaucoup moins que les 285 millions qu'aurait payés la société Conifex en 2007 si sa transaction n'avait pas avorté pour des questions de transferts de droits de coupe par le gouvernement.

Et comme Eacom avait levé 145 millions auprès d'investisseurs privés avant la transaction, elle dispose aujourd'hui d'une marge de manoeuvre.

«Nous sommes une entreprise sans dette avec des surplus d'argent - je ne pense pas qu'il y en ait beaucoup dans l'industrie forestière. Nous avons fait ça de façon délibérée, pour pouvoir investir dans les scieries au bon moment», dit M. Doman.

Eacom affirme qu'elle investira «quelques millions de dollars» dès cette année dans ses scieries. En tout, M. Doman parle de débourser environ 20 millions d'ici 2011-2012, peut-être davantage si la reprise est devancée. Mais le rythme des investissements dépendra beaucoup de l'évolution des marchés.

«Il faut être prudent. On ne sait pas où on est exactement dans cette crise du bois. Si on investit trop et que les prix demeurent bas longtemps, on peut se retrouver à court d'argent. On ne veut pas ça», explique Jean-François Mérette.

En parallèle, M. Doman, qui connaît bien les marchés étrangers pour y avoir travaillé au sein de l'entreprise familiale (voir encadré), veut y envoyer ses produits, notamment en Europe du Nord, au Royaume-Uni et au Moyen-Orient.

«Nous allons prendre le temps d'analyser le marché européen au cours des deux ou trois prochains mois, puis nous allons commencer à y envoyer un peu de bois pour tester le marché», dit M. Doman.

Si les choses vont bien, M. Doman parle même de réaliser de nouvelles acquisitions au Québec «d'ici un ou deux ans». D'ici six mois, il veut aussi faire passer le titre d'Eacom de la Bourse croissance de Toronto au «vrai» TSX.

«À nos yeux, le Québec est un bon endroit où être actuellement, résume le grand patron. Le bois est bon et le gouvernement du Québec est d'un très grand soutien. On a été bien accueilli ici. La route sera cahoteuse et il faut s'attendre à des défis. Mais on pense que la reprise viendra et qu'il faut se positionner.»