Sur la photo de sa page Facebook, le numéro deux de la Caisse de dépôt porte un chandail des Canadiens. Arrivé au Québec il y a sept mois à peine, Roland Lescure s'est découvert une passion pour le hockey, surtout à cause de son fils de 8 ans.

«J'adore le hockey, lance-t-il au cours d'un entretien avec La Presse Affaires. C'est rapide, très technique et c'est physique. Il se passe toujours quelque chose alors qu'au soccer...»

Le nouveau partisan du Canadien n'a cependant rien du fan excité. Hyper calme, souriant, tenue impeccable, il a l'assurance du financier issu des meilleures écoles. Même s'il n'aimait pas le hockey, Roland Lescure n'aurait pas de problème d'intégration à son nouvel environnement.

Le métier de la finance et de l'investissement se pratique de la même façon en Europe et en Amérique, à quelques détails près. «On se lève plus tôt ici, et on prend moins de temps pour déjeuner», a-t-il constaté.

Pour le reste, Roland Lescure pense avoir trouvé au Québec le meilleur de deux mondes. «En Europe, on aime bien réfléchir, discuter et débattre et on a parfois du mal à passer à l'action. En Amérique, on est plus pragmatique et on aime aller droit aux résultats. Au Québec, on essaie d'avoir un équilibre entre ces deux approches.»

Dans son ancienne vie, chez Groupama Asset Management (actif de 88 milliards d'euros), il était décrit comme un gestionnaire prudent. Il n'aime pas trop. «J'aime bien l'adjectif raisonnable, rectifie-t-il. Si je veux donner aux déposants de la Caisse un rendement prudent, je vais leur donner 3,5%, qui est le rendement des obligations du gouvernement de 10 ans. C'est prudent, mais ce n'est pas ce que veulent nos déposants.»

Le rendement désastreux de -25% de la Caisse de dépôt en 2008 a relancé le débat sur le niveau de risque que doivent prendre ses gestionnaires pour générer le rendement attendu par les déposants.

La Caisse doit-elle courir le moins de risque possible pour protéger l'avoir des futurs retraités? Roland Lescure croit que le niveau de risque est moins important que le type de risque.

Le bon risque est celui qu'on maîtrise, aime-t-il répéter. «On ne peut pas investir dans un projet d'autoroute dans l'ouest du pays ou au Brésil sans le comprendre parfaitement. Ça prend des équipes qui comprennent parfaitement ce qui se passe et pour ça, il faut de la recherche. C'est un métier compliqué dans lequel il faut investir.»

À la Caisse, M. Lescure, 43 ans, est responsable de la stratégie de placement, de la répartition de l'actif du portefeuille global et de la recherche. Il supervise les équipes et les activités d'investissement sur les marchés boursiers et joue un rôle-conseil dans les autres types de placement, comme les participations et l'immobilier. Autrement dit, il s'occupe de tout.

Il corrige: «Je considère que mon métier n'est pas d'être un homme-orchestre, mais un chef d'orchestre.»

Sa performance et celle de la nouvelle direction de la Caisse sont suivies de près et les attentes sont grandes. Être soumis aux critiques des gérants d'estrade et au feu de l'opinion publique ne dérange aucunement Roland Lescure. Il a déjà eu son baptême des commissions parlementaires et il se prépare à retourner à Québec cette semaine.

«C'est la moindre des choses, dit-il. On est une institution publique qui gère 139 milliards. Qu'on soit sous les feux de la rampe, qu'on doive rendre des comptes, qu'on soit examinés de près par les médias et par le pouvoir politique, ça me semble normal.»

L'important, c'est que les gestionnaires puissent faire leur travail en paix. ««Notre rôle à Michael (Sabia) et moi-même, c'est de faire l'interface entre la Caisse et le monde et de s'assurer que nos gestionnaires fassent leur travail.»

Contrairement aux financiers purs et durs, Roland Lescure n'est pas allergique à la politique. Au contraire. Au ministère français des Finances, il a participé aux négociations qui ont mené à la création de l'euro. Il en est fier, même s'il reconnaît que sa contribution a été modeste. «Entre nous, sans Roland Lescure, l'euro serait quand même là aujourd'hui», glisse-t-il.

Il croit à la nécessité de l'intervention politique. Plus que jamais, même. C'est la principale leçon de la crise financière qui a plongé le monde en récession, selon lui. Dans la crise qui secoue la Grèce, ajoute-t-il, «ce qui a fait la différence sur les marchés financiers, c'est des décisions politiques».

Roland Lescure juge lui aussi qu'il est devenu nécessaire de mieux encadrer le système financier. «En pleine crise, on a inventé le G20. Pour moi, c'est une belle invention. Maintenant, il va falloir lui donner des règles et surtout la capacité d'agir.»

L'Europe veut taxer les banques, l'Amérique ne veut pas en entendre parler. Mais, peu importe les moyens utilisés, «il a va falloir un système financier un peu plus contraint» pour revenir à l'équilibre.

«Une économie équilibrée, ce n'est pas une économie dans laquelle 30% des profits viennent du secteur financier, comme ça a été le cas au cours des dernières années. C'est une économie dans laquelle la finance contribue à ce que l'essentiel des profits vienne de l'industrie.»