Le président du CRTC, Konrad von Finckenstein, a été au coeur de bien des tempêtes à Ottawa. L'Accord de libre-échange, qu'il a négocié pour le gouvernement fédéral. La fusion des banques, qu'il a approuvée comme commissaire du Bureau de la concurrence avant d'être désavoué par Paul Martin. L'affaire Omar Khadr, qu'il a jugée en première instance.

Sa dernière décision de permettre les redevances aux réseaux de télé généralistes privés pourrait toutefois être la plus controversée de sa carrière.

Ses détracteurs – qu'il accumule comme un tableau de chasse en raison de son appétit pour les discussions franches – l'accusent de mettre la table pour une hausse du prix du câble, des interruptions de service et le déclin de Radio-Canada. Des critiques qui ne font pas fléchir le géant de 6 pieds 6 pouces, qui a toujours préféré la confrontation à l'inaction. «J'aime la clarté, dit Konrad von Finckenstein. Il y a beaucoup de problèmes qu'on évite à Ottawa et tout le monde finit par en souffrir. Quand il y a un problème, il faut le contrôler, et vite. L'attente a des conséquences négatives.»

Peu connu du grand public, Konrad von Finckenstein est l'un des non-élus qui détiennent le plus de pouvoirs publics au Canada. Comme président du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), il est en charge de réglementer votre poste de radio, votre petit écran, votre cellulaire, votre ligne de téléphone à la maison – et peut-être bientôt votre connexion internet, si la Cour fédérale d'appel en décide ainsi l'été prochain.

Dans son pays natal, l'Allemagne, Konrad von Finckenstein a d'autres pouvoirs, ceux-là plus symboliques: il est comte de Finck, titre de noblesse qui se transmet de père en fils. Sa famille possède toujours un château en Pologne, inhabité depuis qu'il a été saccagé par l'armée de Staline durant la guerre.

Comment le comte de Finck s'est-il retrouvé le régulateur des télécoms canadiennes? Arrivé au Canada à 16 ans, Konrad von Finckenstein a été haut fonctionnaire au gouvernement fédéral avant d'être nommé à la tête du Bureau de la concurrence, puis à la magistrature par les libéraux. Il s'ennuyait sur les bancs de la Cour fédérale quand son vieil ami Kevin Lynch, greffier du Conseil privé, a suggéré sa candidature pour prendre la direction du CRTC en 2007.

La suggestion du fonctionnaire le plus puissant à Ottawa a été bien accueillie par les conservateurs, qui connaissent bien le comte de Finck. Son neveu a déjà été directeur des communications du Parti réformiste et de l'Alliance canadienne. Mais surtout, Konrad von Finckenstein était l'avocat en charge de négocier l'Accord de libre-échange avec les États-Unis pour le gouvernement de Brian Mulroney. «Deux années sur l'adrénaline», se rappelle-t-il.

Son ancien patron n'a pas oublié lui non plus. «Konrad est un homme formidable, solide, intelligent et hautement compétent. Il a toujours eu un très bon jugement. Comme on disait à Ottawa, Konrad est solide comme le roc de Gibraltar», confie Brian Mulroney à La Presse Affaires.

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Konrad Winrich Graf Finck von Finckenstein est né en Allemagne le 6 avril 1945, moins d'un mois avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Après la guerre, les von Finckenstein refont leur vie en Allemagne de l'Ouest. Son père est écrivain, sa mère députée, puis diplomate à l'étranger. C'est ainsi que la famille déménage au Chili, puis à Ottawa.

Après des études en sciences politiques à Carleton et en droit à Queen's, le comte de Finck entre dans la fonction publique et rencontre sa future femme, Ursula Menke – aussi d'origine allemande – au cours du dîner annuel des employés du ministère de la Justice. Aujourd'hui, ils forment l'un des couples les plus puissants d'Ottawa, lui dirigeant le CRTC, elle l'Agence de la consommation en matière financière du Canada.

Comme tous ceux qui ont croisé le chemin de Konrad von Finckenstein depuis un demi-siècle, Brian Mulroney n'a pas oublié son franc-parler, sa marque de commerce à Ottawa. «Il n'a pas la langue dans sa poche, lui», dit l'ancien premier ministre.

Sa franchise a teinté son règne de six ans à la tête du Bureau de la concurrence, où il a imposé des peines records aux entreprises contrevenantes. À des députés fédéraux qui tonnaient contre les hausses du prix de l'essence à la veille des longs week-ends, il a répliqué que «personne ne parlait de collusion quand le prix des roses augmentait à la Saint-Valentin». Au CRTC, il a mené une bataille pour avoir juridiction sur les transactions dans le milieu des télécoms. «Je ne crois pas que nous avons apprécié l'importance de la convergence à l'époque», reconnaît-il aujourd'hui. Aux banques, il a permis de se fusionner, mais le ministre des Finances Paul Martin en a finalement décidé autrement. À Air Canada, il a permis de mettre la main sur Canadian Airlines avant de poursuivre le transporteur aérien pour pratiques anticoncurrentielles.

Sa nomination à la Cour fédérale l'a obligé à une discrétion inhabituelle, mais il a tout de même hérité de plusieurs causes médiatisées, dont celle d'Omar Khadr, seul Canadien détenu à Guantanamo.

Après seulement trois ans, Konrad von Finckenstein défroque. «Être juge est un travail fascinant et important, mais on est très isolé, dit le principal intéressé. C'est du ping-pong mental. Je n'avais rien à gérer comme juge.»

«Konrad est une personne énergique qui avait besoin d'un plus grand forum, dit le juge Roger Hughes, son ancien collègue à la Cour fédérale. Dans son nouveau rôle au CRTC, il peut provoquer des choses. Il a un agenda et il sait quoi faire pour le faire avancer.»

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Nommé à la tête du CRTC en janvier 2007, Konrad von Finckenstein doit maintenant gérer un univers en constante mutation. «Les nouvelles technologies ont tout changé, car l'utilisateur a le contrôle, dit-il. Comme régulateur, nous sommes toujours après la vague, nous réagissons, nous avons moins de temps pour réfléchir à nos décisions.»

Le temps de réaction diminue, mais les empires médiatiques, eux, grossissent à vue d'oeil. «Nous sommes encore dans une phase de concentration, mais elle sera sans aucun doute suivie par une période de fragmentation», dit le président du CRTC.

Dans cinq ans, le président du CRTC pense que la télé sera en déclin, mais toujours présente dans la vie des Canadiens. «La télé restera la façon la plus simple d'avoir l'attention de la majorité de la population, mais son importance va changer, dit-il. La clé, ce sera le contenu. On n'achète pas un appareil technologique pour l'appareil mais pour son contenu.»

Konrad von Finckenstein aimerait qu'Ottawa modernise la Loi sur la radiodiffusion, que le CRTC a la responsabilité d'interpréter. «Pour avoir écrit moi-même beaucoup de lois, je sais que ce n'est jamais facile», dit-il.

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Celui qui ne recule jamais devant un bon débat a vite imposé son style au cours des audiences du CRTC. Ses sautes d'humeur ont augmenté au même rythme que ses détracteurs, une catégorie où Jim Shaw, PDG de Shaw, et Phil Lind, vice-président du conseil d'administration de Rogers, se partagent le premier rôle. «Je dois souvent dire aux gens que je vois l'intérêt personnel de leurs propositions, mais pas l'intérêt pour la société en général», explique Konrad von Finckenstein.

Phil Lind voyait pourtant un allié en Konrad von Finckenstein lors de sa nomination, en raison de son passé au Bureau de la concurrence. «Sa première intervention était en faveur du libre marché, mais tout a changé un an après son entrée en poste, dit-il. Il a décidé de tout revoir, comme si tout ce qui avait été décidé avant lui n'existait plus. Il est très interventionniste et tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins.»

D'autres observateurs du milieu des médias jugent ses interventions trop timides. «Beaucoup de ses décisions montrent son adhésion naïve au libre marché», dit Pierre Trudel, professeur de droit des médias à l'Université de Montréal, qui lui reconnaît tout de même quelques bons coups, dont celui d'examiner en même temps l'ensemble des actifs d'un groupe médiatique. «Il est obligé de composer avec certains membres hostiles aux objectifs de la loi et favorables à la déréglementation, dit Pierre Trudel. C'est un homme extrêmement rigoureux et compétent. Je ne suis pas sûr que d'autres feraient mieux à sa place.»

Il reste encore deux ans au mandat de Konrad von Finckenstein, qui ne veut pas dire s'il sollicitera un deuxième mandat à la tête du CRTC. Une chose est certaine: celui qui aura 65 ans le mois prochain ne songe pas à la retraite. «Je vous assure que j'aime être actif», dit le comte de Finck.

Un jour, Konrad von Finckenstein ne sera plus président du CRTC. Son titre de comte du petit écran, par contre, lui sera éternel.