Après 33 ans en Bourse, et au terme d'une réflexion de quelques années, la direction de Groupe Canam en est arrivée à la conclusion que la vision du constructeur québécois de structures en acier ne cadrait tout simplement plus avec celle des marchés boursiers.

C'est pour cette raison que la famille Dutil, qui ne détient que 4,7 millions des 45,36 millions d'actions en circulation de Groupe Canam, a décidé de s'associer au fonds d'investissement American Industrial Partners (AIP) dans le but de fermer le capital de la société établie à Saint-Georges, en Beauce.

«Depuis quelques années, la nature des activités de l'entreprise, sa nature cyclique et risquée correspondent de moins en moins à ce que recherchent les marchés», a expliqué son président et chef de la direction, Marc Dutil, au cours d'une entrevue téléphonique avec La Presse canadienne, tout en prenant soin de préciser qu'il ne s'agissait pas d'une critique à l'endroit des actionnaires de la compagnie.

L'entente prévoit que la firme new-yorkaise détienne 60 % de l'entreprise qui a vu le jour en 1960, alors que la participation de la famille Dutil, de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) et du Fonds de solidarité FTQ - qui possèdent présentement environ 27,9 % des actions en circulation - pourrait atteindre 40 %.

Si certains perçoivent cette transaction comme la vente d'un autre fleuron québécois à des intérêts étrangers, le grand patron de Canam voit les choses d'un autre oeil.

«AIP représente un investisseur qui possède une expertise manufacturière et c'est le partenaire avec qui nous voulions travailler», a-t-il expliqué, rappelant au passage que le siège social de l'entreprise n'allait pas quitter le Québec et que son équipe de direction demeurera en place, à l'exception des administrateurs.

D'ailleurs, Canam et AIP se connaissent déjà étant donné que la firme américaine a été l'un des investisseurs de Manac - également propriété de la famille Dutil - de 2012 jusqu'à 2015, lorsque le constructeur de semi-remorques est sorti de la Bourse.

La CDPQ, qui détient environ 2,3 millions d'actions de Canam, appuie la transaction, affirmant qu'elle lui permet d'accroître sa participation dans l'entreprise.

«L'entreprise aura plus de flexibilité pour mener des projets qui amélioreront sa performance à long terme», a dit le directeur principal des relations avec les médias pour la CDPQ, Maxime Chagnon.

Une prime généreuse

La proposition de 12,30 $ l'action en espèces représente près du double par rapport au prix de clôture, mercredi, à la Bourse de Toronto. L'offre valorise Canam à environ 875 millions, incluant la dette.

En après-midi, sur le parquet torontois, l'action de l'entreprise - qui a effectué son entrée en Bourse en 1984 - bondissait de 96,29 %, ou 5,97 $, pour se transiger à 12,17 $.

Compte tenu des résultats financiers décevants des derniers trimestres et d'un déficit de confiance auprès des investisseurs qui aurait pris plusieurs années à rebâtir, la proposition est «juste», a estimé Mona Nazir, de Valeurs mobilières Banque Laurentienne.

Pour sa part, M. Dutil estime que le marché boursier donnait «un escompte» à l'action, ce qui, à son avis, «était dommageable et risqué» pour l'entreprise comptant 4650 personnes dans ses 23 usines au Canada, aux États-Unis, en Roumanie ainsi qu'en Inde.

Depuis juillet, le titre de l'entreprise, qui valait un peu plus de 13 $, avait entrepris une glissade après que Canam eut provisionné 32 millions en raison de dépassements de coûts aux États-Unis dans le projet du toit du stade des Falcons d'Atlanta, de la Ligue nationale de football, ce qui avait entraîné une réorganisation de ses activités de charpentes métalliques lourdes. Récemment, l'entreprise avait annoncé un examen en profondeur de son secteur des ponts au sud de la frontière.

«Sur les marchés, le danger, si l'on cesse de prendre des risques pour ne pas décevoir les analystes, c'est que l'on commence à freiner le développement et cela est dangereux», a expliqué le grand patron de Canam.

AIP devrait être aux côtés de la société au cours des «cinq à sept prochaines années» avant de retirer ses billes, ce qui permettra à l'entreprise de «penser à restructurer son capital» lorsqu'elle sera plus forte, a dit M. Dutil.

«Mon père m'a toujours dit que sa plus grande erreur aura été d'aller en Bourse, a-t-il répondu, lorsque questionné à savoir si un retour en Bourse était possible. On va s'en rappeler.»

Une assemblée spéciale est prévue le 30 juin afin d'avaliser la transaction, qui a été approuvée à l'unanimité par le conseil d'administration. Elle devra obtenir les approbations réglementaires habituelles.