C'est John Labatt qui doit se retourner dans sa tombe. À compter de l'an prochain, les Américains qui décapsuleront une Labatt Bleue bien fraîche dégusteront une bière qui aura été brassée par Molson!

Les brasseries de Molson Coors à Montréal et à Toronto prendront le relais des brasseries Labatt de LaSalle, de London, de Halifax et de Creston (Colombie-Britannique) pour la production de la Bleue et de la Bleue légère destinée aux États-Unis.

D'après nos informations, ce nouveau contrat de cinq ans porte sur une production de 1,5 million d'hectolitres par année, soit plus de 18 millions de caisses de 24! Il nécessitera donc des investissements pour réaménager la production chez Molson et vraisemblablement des embauches, bien qu'il soit encore trop tôt pour en mesurer l'ampleur.

Les employés de la brasserie Molson de la rue Notre-Dame ont appris la nouvelle avec stupéfaction mardi matin. «Si on avait été en avril, je n'y aurais pas cru», a noté Stéphane Lacroix, porte-parole du syndicat des employés de production de la brasserie, affilié aux Teamsters (FTQ).

Dans la région de Montréal, le bonheur des 800 employés de production de Molson fait toutefois le malheur de leurs 450 camarades de la brasserie Labatt de LaSalle, qui perdent un mandat significatif.

«Ce n'est pas une surprise que nous perdions ce contrat. On s'y attendait depuis deux ans. Mais cela fait quand même un petit choc de savoir que c'est Molson qui le reprend», dit Yanic Beaudry, président du Syndicat des travailleurs de la Brasserie Labatt (CSN).

Cette situation qui aurait été impensable il y a seulement quelques années découle de la grande consolidation dans l'industrie de la bière. Lorsque le brasseur belge InBev a acquis la société américaine Anheuser-Busch, en 2008, le ministère américain de la Justice y a mis des conditions. En raison d'une trop grande part de marché dans le nord-est des États-Unis, le premier producteur de bière au monde a dû se départir du distributeur américain des bières Labatt Bleue et Labatt Bleue Légère.

C'est North American Breweries qui a racheté ces activités de Labatt aux États-Unis. Ce brasseur indépendant établi à Rochester, dans l'État de New York, est la propriété d'un fonds d'investissement privé, KPS Capital Partners, et en a toute la discrétion.

Selon les conditions de ce délestage forcé, North American Breweries avait trois ans pour reprendre la production de la Labatt Blue et de la Labatt Blue Light.

Comme la popularité de ces bières aux États-Unis tient au fait qu'elles sont importées du Canada, il n'était pas question de déménager leur production au sud de la frontière.

«Nous avions le choix entre acheter une brasserie, en construire une ou donner la production à contrat. En raison de la capacité de production excédentaire au Canada, nous avons préféré conserver notre capital et nous associer à un partenaire, a déclaré Rich Lozyniak, président et chef de la direction de North American Breweries, par voie de communiqué.

«Nous avons considéré plusieurs brasseurs. Mais c'est l'expérience de Molson avec des volumes de production importants et la bonne réputation de son service à la clientèle qui nous ont séduits.»

Molson commencera à brasser la Bleue pour le marché américain dès l'an prochain et augmentera graduellement sa production, tandis que Labatt réduira progressivement la sienne. La transition sera complétée en mars 2012, précise Stéphanie Trudeau, vice-présidente affaires publiques de la Brasserie Labatt.

La brasserie de London sera la plus touchée. L'usine de LaSalle est néanmoins le deuxième centre de production de la Bleue pour les États-Unis, avec le brassage d'environ 200 000 hectolitres par an, estime Yanic Beaudry. «On n'anticipe pas de mise à pied», a toutefois indiqué Stéphanie Trudeau, en précisant que la brasserie de LaSalle avait récupéré une partie de la production de la bière Lakeport de la brasserie Labatt de Hamilton, fermée en avril.

Une production additionnelle de 1,5 million d'hectolitres est fort significative pour Molson. Sa brasserie de la rue Notre-Dame a une capacité de 4,8 millions d'hectolitres. En revanche, seulement la moitié de celle-ci (2,7 millions d'hectolitres) est actuellement utilisée, selon nos informations. L'usine montréalaise a notamment perdu il y a deux ans la production de la bière Blue Moon.

«C'est une excellente nouvelle», dit Marie-Hélène Lagacé, directrice des relations publiques de Molson Coors Canada.

Quelle usine, de Montréal ou de Toronto, héritera de quelle part du contrat? Et comment est-ce que cela se traduira en ce qui concerne les investissements et les embauches? Molson évalue actuellement comment réorganiser sa production. «Il est encore trop tôt pour annoncer quoi que ce soit», dit Marie-Hélène Lagacé.

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