«La mode dans le vent («hipster»), c'est fini», lance Dov Charney qui, à titre de fondateur et PDG de la société American Apparel Inc., a vogué sur cette tendance plus que quiconque.

Après avoir fondé la société dans une résidence universitaire à la Tufts University, à Medford, au Massachusetts, il en a fait un empire mondial de 280 magasins en devançant la mode dominante. Il a refait d'innombrables fois la garde-robe «hipster», devinant la demande de shorts de nylon et de justaucorps avant la concurrence.

Pour le meilleur et pour le pire, il a incarné l'esthétique leste et risquée de ses affaires et il doit maintenant faire face aux conséquences: prêteurs frileux et investisseurs qui doutent de sa capacité à bien jauger ses propres créations, selon ce qu'écrit Bloomberg BusinessWeek dans son numéro qui paraît aujourd'hui.

Le titre d'American Apparel se négocie à moins de 2$US, comparativement à un sommet de 16,80$US atteint en décembre 2007. La société est sur le point de perdre son inscription à la Bourse de New York parce qu'elle a mis du retard à divulguer ses résultats trimestriels et la semaine dernière, son comptable, Deloitte&Touche, a tiré sa révérence en soulignant que les résultats de 2009 d'American Apparel pourraient ne pas être fiables.

Ces éléments donnent à penser que la société est peut-être susceptible d'avoir besoin d'une gestion plus fine que ce que peut offrir son fondateur controversé.

M. Charney, 41 ans, admet que les récents problèmes l'ont mis au défi et il insiste pour dire qu'il n'abandonnera pas le navire et qu'il ne restreindra pas ses ambitions. Son plan consiste à plonger tête première dans la tempête, et il projette de doubler les ventes de son entreprise de 11 500 employés au cours des six prochaines années. Pour cela, il entend améliorer la productivité et avoir recours à une meilleure technologie pour que les produits de son usine de Los Angeles arrivent plus vite dans les magasins. Plus tard, American Apparel, qui possède et exploite ses propres magasins, pourrait également vendre ses produits par l'entremise d'autres détaillants.

Place au BCBG

Mais le plus grand défi pourrait bien être du côté du style. Après avoir habillé les 18 à 30 ans en leur proposant toutes sortes de t-shirts et de leggings, qui comptent encore parmi les produits de la société qui se vendent le mieux, American Apparel devient BCBG et se tourne vers des vêtements plus sophistiqués comme des blazers, des pantalons avec plis et des chemises à col boutonné.

«Les jeunes se détournent des perçages corporels, dit M. Charney. Nous voulons vieillir avec nos clients. Nous souhaitons être un marchand américain de vêtements traditionnels.»

Même pendant qu'American Apparel grandissait, M. Charney, qui possède 53% de la société et qui s'habille exclusivement avec les produits de son entreprise (jusqu'aux chaussettes et aux caleçons), a fait de la gestion de la société une affaire modeste et personnelle. Il s'est fait une priorité d'arpenter son usine presque tous les jours, bavardant avec les employés, touchant les tissus et observant la fabrication des vêtements, ce qui lui demande plus de deux heures de son temps, explique-t-il. Tous ses employés peuvent avoir son numéro de téléphone cellulaire, dit-il, et il se fait une fierté de donner suite à tous les appels. Il passe le plus clair de son temps avec un cercle d'une quinzaine de personnes qui l'aident à évaluer les tissus et les nouveaux designs.

Dernièrement, toutefois, les affaires concernaient moins les tissus que la situation financière de l'entreprise.

La menace de la Bourse de New York d'enlever l'inscription de l'action d'American Apparel pourrait devenir réalité si la société ne présente pas son plus récent rapport trimestriel d'ici au 16 août, deuxième retard en un peu plus d'un an. Ce retard est dû aux renégociations de son emprunt de deuxième rang auprès de Lion Capital. Ce problème a été réglé, mais une autre tuile a fait surface sur la place publique lorsque Deloitte&Touche a avisé American Apparel que certaines informations avaient été portées à son attention, lesquelles, si elles faisaient l'objet d'une enquête, pourraient avoir un impact sur la fiabilité des états financiers de 2009 de la société. M. Charney affirme être convaincu que ces questions comptables seront résolues d'ici à la date limite du 16 août.

Lion Capital, firme londonienne d'investissement, a consenti en mars 2009 à prêter 80 millions US à American Apparel jusqu'au 31 décembre 2013. Dans le cadre de l'entente, Lion a reçu des bons de souscription d'actions pour 16 millions d'actions ordinaires de la société, ce qui équivaut à une participation d'environ 18%.

Bourdes en série

Lors d'une conférence téléphonique, M. Charney a annoncé de manière prématurée à des investisseurs que la société avait conclu une nouvelle entente avec Lion Capital, déclaration suivie d'un communiqué de presse d'American Apparel admettant que l'entreprise risquait de ne pas pouvoir respecter les engagements prévus au prêt. Les deux parties sont parvenues à un accord le mois dernier selon lequel American Apparel doit atteindre des cibles de bénéfices sur 12 mois. Cet accord prévoit aussi une hausse de 2 points de pourcentage du taux d'intérêt du prêt, à 17%, si certains ratios dette/bénéfices ne sont pas atteints.

Avant que les problèmes financiers s'intensifient, M. Charney avait dû composer avec des allégations de harcèlement sexuel suivies d'une descente des responsables de l'immigration. Pas moins de 1500 travailleurs de l'usine de Los Angeles ont dû partir en raison du manque d'informations les concernant et 1000 autres sont partis de crainte d'être arrêtés pour violation de la loi sur l'immigration.

Pour une société fière de dire qu'elle fabrique ses produits aux États-Unis mêmes, c'était un coup dur coûteux.