Êtes-vous intéressés à nous vendre vos actions à un prix... inférieur à celui du marché? C'est ce que demande une firme de Toronto aux actionnaires de Saputo (T.SAP). Ce type d'offre, controversé, fait l'objet de mises en garde de la part des autorités des marchés financiers.

TRC Capital Corporation, fonds d'investissement privé de Toronto, veut acheter 1,45% des actions de Saputo en offrant à ses détenteurs un prix de 24,95$ l'action. Le hic: loin de représenter une prime comme on le voit habituellement lors d'une offre publique d'achat, ce prix est 5,42% plus bas que le prix de clôture du 23 septembre, soit la veille de l'offre.

C'est ce qu'on appelle dans le jargon une «offre d'achat restreinte» - une démarche qui fait l'objet de mises en garde de la part des autorités en valeurs mobilières, tant au Canada qu'aux États-Unis. Saputo a d'ailleurs averti hier ses actionnaires qu'elle n'était «aucunement associée» à TRC.

«Les actionnaires qui envisagent de déposer leurs actions (...) sont encouragés à faire preuve de prudence, à obtenir les prix en vigueur sur le marché pour leurs actions ordinaires, à consulter leur conseiller en placement et à examiner attentivement l'offre (...)», écrit l'entreprise dans un communiqué publié hier.

Pourquoi diable un actionnaire vendrait-il ses actions à un prix plus bas que celui du marché? C'est LA question qui soulève les débats.

L'Autorité des marchés financiers (AMF), qui a ce type d'offres à l'oeil, ne voit qu'une situation avantageuse: celle d'un investisseur qui désire vendre un petit nombre d'actions et qui ne veut pas payer la commission associée à la vente.

Le problème, c'est que bien d'autres investisseurs comprennent mal ces offres et choisissent de vendre sans comprendre qu'ils le font à rabais.

Dans une publication qui date de 1999, le personnel des autorités canadiennes en valeurs mobilières soulignait que les offres d'achat restreintes ressemblaient beaucoup aux offres publiques d'achat, qui, elles, permettent aux actionnaires d'encaisser une prime. Le personnel des autorités conclut qu'elles peuvent être utilisées pour berner les investisseurs.

«Selon le personnel, confondre ainsi un investisseur pour l'amener à répondre à une offre d'achat restreinte peut être vu comme un recours abusif aux marchés des capitaux et une infraction aux dispositions de certaines lois sur les valeurs mobilières en matière de répression de fraudes.»

Les offres d'achat restreintes sont toutefois encore légales. Il n'a pas été possible, hier, d'obtenir les commentaires de l'Autorité des marchés financiers.

La SecuritiesandExchange Commission, chien de garde des marchés financiers américains, avertit quant à elle sur son site internet que «les offres d'achat restreintes sont de plus en plus utilisées pour attraper les investisseurs qui ne sont pas sur leurs gardes».

Pour la firme qui achète des actions à rabais (généralement entre 3 et 5%), les perspectives de profits rapides sont évidemment intéressantes.

TRC Capital ne se gène d'ailleurs pas pour déposer des offres de ce type. Pfizer, Kraft, Domtar, Novartis, Honeywell, Canadian Tire, Halliburton, Rio Tinto, alouette: la liste des actionnaires courtisés au cours des dernières années est longue.

En entrevue à La Presse Affaires, Lorne Albaum, président de TRC Capital, a refusé de dire quel pourcentage des actionnaires accepte généralement de lui vendre leurs actions. Il nie aussi vigoureusement tenter de berner les actionnaires, disant viser ceux qui veulent éviter les commissions.

«Les actionnaires sont assez intelligents pour savoir ce qu'ils font et je n'essaie pas de berner qui que ce soit», a-t-il dit, expliquant voir dans Saputo un «bon investissement à long terme».

L'action de Saputo a perdu 1,72%, hier, pour clôturer à 25,13$.